Ah, la grippe H1N1! …Ou était-ce AH1N1? Ou A tout court? Ou grippe porcine pour ceux et celles qui ne sont pas à jour? Peu importe, vous savez très bien de quelle grippe je veux parler : de celle que l’on va vous soupçonner d’avoir, en blague ou sérieusement, si vous laissez échapper le moindre éternuement! Celle qui, lorsque vous discutez tout bonnement de l’actualité avec quelqu’un ou lorsque vous écoutez une conversation au hasard dans un lieu public, ne tardera pas à apparaître. Ce qui devrait faire réellement peur au monde et l’inquiéter, ce n’est pas la grippe H1N1 en elle-même, mais plutôt le phénomène social qui gravite autour!
En effet, si vous avez bien fait vos devoirs, vous savez que cette grippe ne constitue pas un danger particulièrement plus élevé que ceux qui nous entourent déjà. La comparaison classique que l’on donne à ce sujet, si on s’en tient aux statistiques, est que la grippe « ordinaire » a tué approximativement 100 fois plus de personnes ces derniers mois que la grippe H1N1. À des niveaux autres que sanitaires, plusieurs causes de mortalité sont bien plus importantes que cette grippe, incluant le suicide et les accidents de route par exemple. Et voilà que notre société panique soudainement pour un mal singulier qui n’affecte concrètement pas vraiment leur vie, sauf peut-être par l’intermédiaire des médias et de leur imagination. Ces remarques ne sont pas nouvelles et ne constituent certainement pas une bonne raison pour ignorer le danger potentiel de la maladie, mais considérant l’ampleur du phénomène qui tourne autour de cette grippe, vous ne trouvez pas que « quelque chose cloche »? Si oui, et je crois que nous sommes justifiés de trouver cela, laissez-moi vous présenter ce qui constitue ce « quelque chose » selon mes observations. Elles seront peut-être susceptibles de vous donner un point de vue original qu’on ne vous présentera ni dans les journaux, ni à la télévision.
Si vous avez fait encore mieux vos devoirs, vous savez aussi qu’un courant règne par rapport à ce « quelque chose qui cloche » qui interprète la campagne de vaccination massive ainsi que sa popularisation dans les médias comme une sorte de complot gouvernemental. Car en effet, si l’on se fie aux propos de l’épistémologue Jean-Jacques Crèvecoeur et à quelques autres articles à ce sujet, plusieurs choses semblent croches dans la constitution de ce vaccin. Parmi ces choses se trouvent principalement l’inclusion du « squalène » comme ingrédient du vaccin alors que ce produit aurait été interdit en 2004 parce qu’il avait été jugé « coupable » du syndrome de la première guerre du golf. Pour ce qui est de la théorie du complot, l’élément le plus louche se veut la modification de la définition de « pandémie » par l’OMS le 27 avril 2009, qui inclut maintenant la grippe H1N1 et qui ne l’aurait pas incluse avant.
Je ne suis pas un adepte des théories de complots, mais il se produit en effet un phénomène complexe et étrange dans le cas de la campagne de vaccination massive, un phénomène que nous avons de la difficulté à expliquer et à saisir, et je me propose comme candidat pour l’expliquer en partie. Premièrement, supposer un génie maléfique à la tête de l’enchaînement de tous ces phénomènes me semble être un raisonnement semblable à… (tenez-vous bien!) celui que fait Saint-Thomas d’Aquin dans ses cinq démonstrations de l’existence de Dieu. Bon, ici, une infime minorité savent de quoi je parle, mais pour le reste, voilà le résumé de ce que je veux dire par là : ce n’est pas parce que des phénomènes semblent être organisés et s’ordonner en vue d’une fin particulière qu’il y a nécessairement quelqu’un au bout du compte qui a pensé volontairement à toute cette organisation et aux conséquences qui en découleront. La théorie du complot se popularise grâce à une conception du gouvernement de plus en plus répandue selon laquelle il s’agit d’une entité indépendante du peuple, omnipuissante et manipulatrice qui souhaite réaliser des projets... presque diaboliques parfois. Or, bien qu’il serait faux d’affirmer que le gouvernement ne fait jamais rien de croche, il ne faudrait pas non plus se laisser emporter par notre imagination et supposer que le type de scénario auquel on assiste dans les histoires fictives (films ou romans), qui eux ont besoin d’un côté « extrême » pour se rendre captivantes, est aussi ce que l’on voit dans la réalité! « Le gouvernement », ce sont des humains, avec des amis, des familles, et non pas une race extra-terrestre venue causer le mal sur notre planète pour une future invasion.
Mais sans qu’il n’y ait nécessairement un grand génie diabolique qui a pensé à toutes les conséquences de ce phénomène, il n’en reste pas moins que les inquiétudes à ce sujet peuvent être justifiées. Selon ma perspective que je me propose de vous partager, avec le phénomène de la grippe H1N1, nous assistons à la fusion dangereuse de trois phénomènes sociaux qui déjà, bien avant l’histoire de la grippe H1N1, avaient été identifiés à plusieurs reprises comme étant un peu maladifs et malsains. Or voilà, aucun individu ne « pense » à ces phénomènes sociaux, personne ne les « crée » vraiment : en fait, c'est nous, en tant que masse, qui y participons et les avons créés.
Le premier de ces trois phénomènes problématiques est la popularisation médiatique d'un malheur singulier et sa dramatisation. L’exemple le plus révélateur que je ne peux m’empêcher d’énoncer pour tous les Québécois est celui de Cédrika Provencher. Il y avait un certain malaise officiel à critiquer le phénomène médiatique autour de cette jeune fille et ce principalement parce qu’il n’enlevait rien du tout à la gravité de sa situation. Mais ce cas donnait l’impression que ce genre de chose n’arrivait jamais alors qu’il arrive en réalité depuis longtemps (aussi triste cela soit-il) et surtout, il s’est mis à affecter des gens qui « n’auraient pas dûs » être affectés en un sens. En d’autres termes, grâce aux médias, ce mal singulier a causé de la tristesse et de l’inquiétude réelle à des personnes qui initialement n’avaient rien à voir avec le problème. Le parallèle avec la grippe H1N1 n’est pas parfait mais fait tout de même ressortir le principe médiatique. Essayez par exemple de me dire en quoi cette grippe vous affecte concrètement et non pas uniquement par sa popularisation médiatique? Tout comme avec Cédrika, vous êtes chanceux si vous trouvez la coiffeuse d’un cousin de l’ami d’un ami que cela affecte réellement et gravement.
Le deuxième phénomène est celui de la paranoïa sanitaire et de la prévention abusive concernant la sécurité physique. Par exemple, vous avez sans doute remarqué ces affiches dans les toilettes publiques ou autres endroits qui vous expliquent comment vous laver les mains en 5, 7, 9, voire même en 12 étapes. Concrètement, quels sont les effets réels de ce type d’affiches? Qui commencera réellement à les lire attentivement puis à modifier ses habitudes de lavage de main pour respecter ces 12 étapes? Et surtout, dans quelle mesure cela améliorera « ses chances de survie »? Quoi qu’il en soit, ces affiches, déjà conçues, produites et distribuées par milliers auparavant, se multiplient depuis cette histoire de grippe H1N1 (il y en avait une d’affichée sur la caisse lorsque je suis allé à l’épicerie la veille… il y avait peut-être une photo de Cédrika il y a 2 ans?). Pour ce qui est de la sécurité physique, pensez simplement à l’expression « mesures de sécurité » : vous l’avez sans doute vue ou entendue dans une multitude de situations, incluant des situations très banales et impliquant des conséquences très mineures. Ces deux « paranoïas » impliquent une foule de conséquences positives, je ne peux le nier, mais la santé et la sécurité sont malgré tout devenues des choses… « sacrées » j’oserais dire. Or voilà, le mal singulier popularisé par les médias attaque ce sacré, ce qui ne peut qu’amplifier les subventions et les mesures pour contrer ce mal. Parlant de subventions, cela nous amène au phénomène le plus puissant de tous au sein de cette fusion…
Pour ce qui est du troisième phénomène, nous y participons tous si activement qu’il nous est difficile de le distinguer. Il s’agit de la position que la société accorde à l’économie dans la hiérarchie des valeurs humaines… c’est-à-dire la première. Notons d’ailleurs que c’est grâce à ce troisième phénomène qu’un complot aurait pu émerger si complot il y a… mais notons surtout que je n’aborderai pas cette question ici. En effet, ne jugeons-nous pas que quelqu’un a « réussi sa vie » s’il possède beaucoup d’argent ou une compagnie? Certaines entreprises ne peuvent-ils pas faire passer le « profit » avant plusieurs considérations morales et valeurs, incluant parfois le bien-être des employés ou même des clients? Et ce même si les compagnies se veulent avant tout un service? Or voilà, il est inévitable qu’à quelque part des personnes et des entreprises s’enrichissent grâce à la vente massive (le mot est faible) de ce vaccin. Si ces propriétaires sont adeptes de la « religion économique » au même titre que non seulement plusieurs propriétaires d’entreprises mais aussi que chacun de nous (soyons honnêtes avec nous-même), ces personnes ont avantage à populariser la vente de ce vaccin… possiblement au même titre que s’il s’agissait de n’importe quel autre produit commercial. Possiblement : ce n’est pas certain. Mais en constatant l’omniprésence et le pouvoir incroyable de ce phénomène (qui en vient tranquillement à s’élever au-dessus du pouvoir politique et à le manipuler) et en considérant l’état actuel de la « crise économique », quelque chose me dit qu’il n’est pas absurde de faire intervenir l’avidité maintenant maladive de l’homme moderne (n’est-ce pas elle qui est en grande partie responsable de la pollution qui modifie dangereusement l’écosystème de notre planète?) dans cette histoire de vaccination massive contre la grippe H1N1. Il y a de quoi s'inquiéter uniquement si ce troisième phénomène participe fortement à la vaccination massive puisqu'en économie il n'est pas rare, lors d'une demande élevée et pressante, de devoir bâcler le produit si on sait qu'il va se vendre de toute façon... Or pas de retour au comptoir ou de garantie s'il est défectueux dans ce cas : il est déjà dans votre corps! Mais personnellement, j'ai encore un minimum de confiance en l'humanité...
En résumé, il est trop tôt pour savoir si le vaccin nous « sauvera » réellement ou s’il créera lui-même une nouvelle maladie par ses effets secondaires, mais la méfiance quant à la campagne de vaccination massive et quant à ce que j'oserais appeler la « campagne de peur » nous permet d’observer une « maladie » qui, elle, fait bien plus peur que cette grippe et contient un danger beaucoup plus réel et probablement beaucoup plus élevé : nous ne savons plus si nous pouvons faire confiance ou non à notre gouvernement. Le gouvernement n’échappe pas aux trois phénomènes que j'ai énuméré : il y participe et même les encourage depuis un bon moment. Tout se passe un peu comme si on avait adopté des créatures en apparence inoffensives dans leur jeunesse mais qui, une fois développées, se seraient révélées potentiellement dangereuses. Une foule de personnes dans la société aurait répété à plusieurs reprises à propos de chacune de ces créatures « Attention, il y a quelque chose de malsain dans ces créatures, ça va se retourner contre nous un jour! »… et le gouvernement ne les aurait simplement pas pris au sérieux. Après tout, ce ne sont que des idées : que valent-elles si elles ne peuvent pas produire d'argent? Quoi qu’il en soi, une fois que cette histoire de vaccination massive sera passée, espérons que le gouvernement trouvera un moyen de regagner sa crédibilité.
D’une certaine manière, on emploie tous cette opposition lorsqu’il nous arrive d’avoir une pensée semblable à : « J’aurais vraiment envie d’effectuer telle action, mais ma raison me dit que je ne devrais pas » ou, à l’inverse, « Je n’ai tellement pas envie d’effectuer telle action, mais ma raison me dit que je dois le faire ». La pensée que vous avez ou la parole que vous énoncez n’utilise pas nécessairement ces termes (vous employez peut-être "coeur" au lieu de "passion" ou bien "tête" au lieu de "raison", ou bien quoi que ce soit d'autre), mais vous comprenez tous très bien ce à quoi je fais référence : nous pouvons tous rapporter ce type de phrase à des expériences personnelles.
Ce que je trouve curieux dans cette opposition, c’est la supériorité que l’on accorde naturellement à la Raison et donc à notre intelligence. En effet, dans notre paradigme moral, nos passions sont la « source du mal » et, pour faire un geste « moralement bon », nous ne devons pas céder à leur tentation mais plutôt les « contrôler » et s’en rendre maître : c’est alors seulement que nous pourrons devenir « matures », « sages » et « maîtres de nous-même ». Historiquement, nous devons probablement cette conception à notre tradition morale chrétienne. Hé oui! Même si vous vous considérez athées, vous êtes probablement un peu catholiques du point vue moral, et ce malgré vous! D’ailleurs, dans l’évangile de Jean, le péché est justement décris comme « une faute contre la raison », ce qui me semble justement idéaliser la Raison par rapport aux Passions. Mais bon, cette hypothèse historique n'est belle et bien qu'une simple hypothèse et ne constitue pas le sujet que je souhaite aborder ici.
Bref, quoi qu'il en soit, lorsque nous parvenons à contrôler nos Passions et à « prendre le dessus » sur elles (l’expression est d’ailleurs très révélatrice) grâce à notre Raison, nous avons le sentiment d’avoir effectué un choix « moralement bon ». Exemple? « J’avais le goût de lui crier toutes les insultes par la tête et de lui dire ce que je pensais réellement de lui! Mais heureusement, j’ai été capable de me retenir : rien de bon ne serait sorti de cette pulsion d'agressivité de toute façon ». Bravo champion! Mais… rien de bon? Est-ce si certain? Cette conclusion va-t-elle réellement de soi? Et si cette action avait permise à la personne visée une remise en question bénéfique qui ne se produira malheureusement pas? Et si elle avait procuré à la personne qui s’est exprimée une source non seulement de soulagement, mais aussi de fierté personnelle puisqu’elle demandait un certain courage? L’expression « esclave de nos passions » nous est commune, mais serait-ce possible qu’il ne s’agisse là en fait que d’une question de point de vue, et non pas d’un absolu? Laissez-moi vous montrer en quoi nous pouvons aussi très bien être « esclaves de notre raison »!
Je n’expliquerai pas le phénomène dans le détail : ce serait plutôt long et pénible et je risquerais de tomber dans le même piège que nos amis les philosophes allemands. Pour faire un résumé, je dirai simplement que ce que nous appelons notre Raison (ou notre intelligence) prétend savoir ce qui est « le mieux pour nous » et finit par nous le prescrire. Or, cette prétention peut très facilement s’avérer mensongère : après tout, « le mieux pour nous » est une notion particulièrement relative et particulièrement… imprévisible. Tenez : disons que je suis déraisonnable et que lors d’une soirée, je décide d’aller dans un lieu interdit aux civiles et de manière illégale en plus. Oups! Je me fait prendre par les autorités et je dois payer une amende. Quel idiot j’ai fait! Ma raison aurait facilement pu prévoir cette conséquence, me prescrire ce qui aurait été « le mieux pour moi » et m’éviter cette amende. Mais supposons que pendant cette péripétie, j’ai rencontré une femme qui apparemment a eu la même idée que moi en même temps que moi. J’ai alors développé des affinités avec elle et, plus tard, cette femme est devenue la « femme de ma vie » : ça, la Raison n’aurait pu aucunement le prévoir. Et si, au bout du compte, cette action libérée des prescriptions de la Raison avait été « le mieux pour moi »?
D'ailleurs, dans plusieurs cas, « le mieux pour nous » tel que prescrit par notre raison signifie « éviter le plus de problèmes possibles ». Cela apparaît normal : qui voudrait des problèmes? Mais d'un autre point de vue (car il s'agit bien ici d'une question de point de vue), cela signifie souvent du même coup « affronter le moins d’épreuves possible », ce qui n’est pas nécessairement « le mieux pour nous » dans une perspective globale d’amélioration constante de soi. Prenons un « cas de coeur » très concret : celui d’une femme qui vient de terminer une relation avec son copain sans qu'il ne s'agisse entièrement de sa propre décision. Motivée par l'espoir de faire revivre cette relation, elle souhaite retourner voir l’homme en question pour qu'il remette sa décision en question. Mais sa raison lui prescrit de ne pas agir ainsi en se basant sur une réflexion semblable :
1) Je souhaite revoir mon ex-copain principalement parce que j’espère avoir une chance de recommencer une relation avec lui.
2) Or, il a déjà très clairement une autre femme en tête et m’a expliqué plusieurs fois qu'il était définitivement passé à autre chose.
3) Donc, mon espoir est vain et le fait de persister ne fera que confirmer l'impossibilité de la réalisation de mon espoir, ce qui causera probablement une peine encore plus intense que celle que je vis en ce moment.
Bien que nous soyons loin d'un syllogisme rigoureux et loin des termes exactes que cette femme emploierait, c'est tout de même sur une forme semblable que se développerait son raisonnement. Oui, la conclusion pourrait facilement s'avérer exacte : il est en effet vrai (car c’est bien le résultat lié à la vérité qui nous importe lorsque nous faisons usage de notre Raison) que cette femme risque fortement de se faire du mal en agissant ainsi. Mais sans conclusion définitive, sans coup final, l'histoire de la femme avec son ex-copain pourrait très bien laisser des traces négatives sur sa vie émotive, qui sait? Peut-être qu’en écoutant ses passions et en retournant voir l'homme en question, elle pourrait réaliser avec plus de plénitude que son histoire avec lui est terminée? Peut-être ne sera-t-elle plus rongée intérieurement par le doute? Peut-être sera-t-elle plus en mesure, pour une prochaine fois, de détecter la fin officielle d'une relation, ou du moins de mieux l’assumer, voire même de l'éviter? Ou peut-être même qu’un malentendu important sera réglé? Une foule de conséquences positives hypothétiques est possible.
Bref, bien que la Raison puisse nous indiquer la présence d’un éventuel mal et la manière dont nous pouvons l'éviter, rien n’empêche qu’il pourrait en réalité être souhaitable de le vivre. À ce « mal » peut en effet être attaché un défi permettant une amélioration de soi ainsi que des conséquences positives (évènements) que la Raison aurait été incapable de prévoir.
Le paradoxe de ce point de vue? Si vous décidez avec votre Raison de céder à vos Passions, vous n’écoutez plus vraiment vos Passions, mais votre Raison! La morale de ce paradoxe? Même s'il me semble qu'on valorise parfois un peu trop la rationalité, agir sans réfléchir de temps en temps est selon moi loin d’être condamnable : en fait, dans certaines situations où la Raison ne peut clairement pas tout éclairér j'oserais dire que c’est même plutôt souhaitable.
Premièrement, voyons ce dont il est question lorsqu’on parle de stéréotype. L’opération consiste à prendre une caractéristique que possède une classe ou une catégorie de personnes, généralement dans l’esprit populaire (ex : les bourgeois sont snobs), puis appliquer cette association abstraite d’idées à un cas concret (ex : cet homme étant bourgeois, il doit être snob). Ce qui m’amuse, c’est de constater à quel point le langage (et donc l’acte de penser lui-même) implique inévitablement des associations entre les différentes classes et les différentes catégories abstraites.
Mais bien sûr, ce ne sont pas toutes ces associations qui peuvent être appelées stéréotypes. Le mot « ours » peut vous faire penser au mot « poilu », mais nous sommes d'accord pour dire que « l’ours poilu » ne constitue pas un stéréotype pour autant. Dans le même ordre d’idées, le mot « tigre » peut vous faire penser au mot « dangereux », mais un « tigre dangereux » ne constitue pas un stéréotype pour… attendez… Et qu’arrive-t-il si j’apprends que ce ne sont pas tous les types de tigre qui sont dangereux dans toutes les circonstances? Penser que les tigres sont dangereux deviendra-t-il alors un stéréotype? En d’autres mots, ma « connaissance » d’une ou de plusieurs exceptions peut-elle transformer ce que je considérais avant comme une caractéristique... en stéréotype ? Supposons que tous les arabes québécois que j’ai croisé jusqu’à ce jour possèdent un accent et que, pour imiter un arabe, j’imite cet accent. Viens-je d’imiter les arabes en me basant sur une de leur caractéristique selon mon point de vue alors que je viendrais de les stéréotyper selon le point de vue d’une autre personne qui, elle, aurait déjà rencontré des arabes québécois sans accent? Et si tous les arabes québécois possédaient bel et bien un accent, cet accent pourrait-il être considéré comme un stéréotype... alors qu'il serait aussi une caractéristique?
Quoi qu’il en soit, si vous voyez un tigre, je vous suggère tout de même de ne pas trop vous en approcher... Et si vous voyez un ours sans poil, bah, ne s'agit-il pas simplement d’une exception à une règle très générale, sans que cela ait le moindre rapport avec les stéréotypes? Mais pourtant, les stéréotypes n’existent-ils pas justement dans un jeu d’opposition entre des règles générales et des exceptions? Ou... non, pas toujours en fait... Bon, c'en est assez de ce petit jeu! Nous pourrions y jouer longtemps avant d’arriver à une définition irréfutable et non-critiquable d’un stéréotype. Pour ce qui nous importe ici, prenons simplement conscience que définir un stéréotype n’est pas aussi évident que notre intuition nous l’indique.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’usage des stéréotypes est critiqué, la première étant évidemment lorsque le stéréotype en question est perçu négativement (ex : les militaires sont des bagarreurs machos). Toutefois, lorsqu’il est question de généralisation, le stéréotype n’a souvent même pas besoin d’être négatif pour que son usage soit critiqué! Pourquoi? La raison qui nous vient à l'esprit, c'est que la généralisation est perçue comme un jugement dangereusement prétentieux : le juge ne connaît pas assez la personne jugée pour se prononcer dessus. « Tu ne le connais pas, tu ne le sais pas au fond! ». Mais il y a aussi que classer un individu dans une « catégorie » puis tenter de le définir personnellement à partir de cette catégorie donne l’impression qu'on enlève à cet individu une partie de son caractère unique. Je dirais même une partie de son... « libre arbitre ». Un peu trop exagérée et poussée comme hypothèse, vous trouvez?
Laissez-moi vous expliquer : disons qu’à un souper de famille, alors que votre petit frère parle d’un ami noir qu’il s’est fait en entrant à l’école secondaire, votre oncle se fait un plaisir d’ajouter un commentaire ressemblant à : « Un de ceux qui jouent au basketball, qui portent des vêtements trop longs et qui écoutent du rap j’imagine!? ». Vous n’aimez pas l’usage du stéréotype en pensant « Franchement, les jeunes noirs ne sont pas tous comme cela! », mais avant que vous n’ayez eu le temps d’intervenir, votre petit frère, naïf, répond « Comment t’as fait pour deviner son sport préféré, sa musique préférée et la manière dont il s’habille!? Tu l’as déjà vu? ». Si certaines personnes trouvent frustrant d’être témoins d’un jugement qui se base sur des stéréotypes, quelque chose me dit qu’elles le seraient encore plus si elles prenaient le temps à chaque fois de vérifier dans quelle mesure ce jugement est juste…
Vous voyez une vieille madame avec les cheveux teints et un maquillage excessif? Un stéréotype de « matante »? Parions qu’elle sente beaucoup le parfum aussi! Réaction réflexe des pieux guerriers de la droiture d’esprit : « Mais voyons, ce ne sont pas toutes les vielles femmes avec beaucoup de maquillage qui sentent le parfum! ». Merci de pointer l’évidence, guerrier, car c'est en effet plutôt évident qu’elles ne sont pas toutes comme ça... Mais puisque le principe du stéréotype est généralement de dégager une caractéristique commune à la majorité d’un groupe, dans plusieurs cas, il y a simplement de bonnes chances que le stéréotype s’applique. Mais non, en effet, ce n'est pas certain. Toutefois, personne n’attend d’être certain de ses propos à 100% dans toutes les situations avant de les affirmer : nous généralisons tous. Et même si de pieux guerriers de la droiture d’esprit prenaient la peine d'« être certain à 100% » avant d’affirmer tous leurs propos, cela ne signifierait pas pour autant qu’ils auraient raison sur tout : on ne s’en sort pas!
Une mauvaise chose, les stéréotypes? Parfois oui bien sûr, dépendant du stéréotype et de son application. Mais rappelons-nous que si l’acte de généraliser est si souvent condamné alors qu’il est, à mon avis, très naturel et peut-être même implicite à notre langage, c’est souvent parce que l’on considère plus ou moins consciemment qu'être catégorisable est une mauvaise chose. Mais incarner un stéréotype, s'il n'est pas péjoratif, est tout à fait acceptable et devient un « mal » uniquement lorsque l’on se conçoit comme absolument unique et indépendant de toute catégorisation, de tout contexte culturel et temporel… alors que, il me semble, c'est totalement faux! Mais ce réflexe que nous avons de juger négativement les stéréotypes (et donc la catégorisation) n'est pas surprenant puisque notre mentalité moderne nous incite à nous concevoir comme totalement libres : je choisis mes vêtements, je choisis mes activités, je choisis mes croyances, je choisis ma carrière, etc. Remarquez, ce point de vue n’est ni erroné, ni négatif pour autant! Mais il peut nous inciter à percevoir la catégorisation d’autrui, c’est-à-dire les stéréotypes, comme une limitation à la liberté des autres et, indirectement, à la nôtre aussi.
Bref, n'ayons pas honte d’incarner un stéréotype s’il ne nous apparaît pas péjoratif... et ne nous emportons pas par "réflexe" si on en applique sur les autres! Alors qu'ils sont souvent condamnés par le seul fait qu'ils sont des stéréotypes, plusieurs stéréotypes que l'on applique (et surtout ceux que l'on incarne) gagneraient à être considérés. Peut-être (surement?) possèdent-ils un fond de vérité et, qui sait, peut-être pourrions-nous faire une découverte intéressante en les acceptant? Si ce point de vue que je viens d'exprimer sur les stéréotypes vous apparaît un peu l’inverse de ce que l’on entend d’habitude, et bien pardonnez-moi : je dois admettre que j’incarne un peu ce stéréotype…
Et si vous vous promenez devant un kiosque de revues ce mois-ci (juillet 2009), vous verrez peut-être...
Bon, ce n’est une surprise pour personne, vous avez tous perçu ce qu’ont en commun ces images : elles présentent tous un homme et une femme dans une situation où l’homme ou est un un peu ridiculisé, ou « perd le rapport de force ». Vous croyez que ma sélection est arbitraire et qu'il serait facile de trouver des images médiatiques dans lesquelles les femmes sont elles aussi ridiculisées de la même manière? Opposition réflexe... mais complètement erronée. Et pour le démontrer, nous n'aurons même pas à chercher des heures sur Internet et à faire le tour de tous les clubs vidéos, ne vous inquiétez pas! Nous n'aurons qu'à entamer la seconde partie de mon petit jeu, et je vous demande d’y participer réellement s’il vous plait. Regardez une seconde fois les images ci-dessus et, pour chacune d’entre-elles, avec votre imagination, prenez le temps d’inverser le rôle de la femme et de l’homme : vous ne pourrez vous empêcher de constater que les images ne transmettent soudainement plus la même idée, le même niveau d'humour ou du moins le même type d’humour.
Le « scan » n’est pas de très bonne qualité, mais en-dessous du titre, il est inscrit la phrase suivante : « Une femme inspecteur, plus douée que ses collègues machos, élucide des meurtres avec ses amies, entre filles ». L’idée que des hommes lâches et machos bâclent leur travail tandis que des femmes, incluant plusieurs qui ne pratiquent même pas le métier en question, le réussissent beaucoup mieux, est une idée parfaitement acceptable et ne créera aucun remue-ménage. Et à quand une émission dont la description sera : « Un homme, plus doué que ses collègues « pitounes » et superficielles… »? Ne vous inquiétez pas mesdames les féministes, vous n’aurez pas à vous battre contre ce type de série télévisée qui serait dégradante pour l’image de la femme… parce qu’aujourd’hui, personne n’osera la produire, vous le savez très bien! Félicitation, vous avez bien fait votre travail! À mon avis, à notre époque, une féministe qui souhaite protéger l’image de la femme dans les médias en criant « Égalité! », c’est un peu comme un animateur de radio qui souhaite légitimer ses insultes en criant « Liberté! » : c'est absurde, mais sans qu'ils et qu'elles s'en rendent nécessairement compte. Juste pour le plaisir, je vous invite à répéter le petit jeu que nous avons fait plus tôt, mais en appliquant votre imagination sur la publicité de cette émission. Cette expérience sera symbolique au sens littéraire du terme : cette image ne présente pas un homme et une femme en particulier, mais bien le symbole d'un homme et le symbole d'une femme. Et si vous avez pris la peine de vous imaginer l'inverse… Tiens tiens, c’est moins drôle, n’est-ce pas?
Peut-être que je me trompe, mais j’ai l’impression que cette allergie à la violence est de plus en plus forte : autrefois, la guerre pouvait être synonyme de certaines vertus comme le courage et l’honneur. Aujourd’hui, le point de vue a changé et ces associations se dissoudent tranquillement. Si c'est bel et bien le cas, personnellement, je crois que… c’est pour le mieux! Et non, je ne ferai pas une apologie de la violence! En fait, ce dont je souhaite parler ici, c’est plutôt du moyen auquel certaines personnes ont pensé pour se débarrasser de (ou du moins diminuer) la violence : désigner le coupable de son existence. Et dans notre société post-moderne, qui a-t-on longtemps pointé du doigt et pointe-t-on encore souvent aujourd’hui? La télévision, les films et les jeux vidéos, bien sûrs!
Avant d'aborder la question principale, constatons d’abord cela : globalement, la violence a toujours été présente dans la majorité des sociétés ainsi que dans leurs oeuvres d’art, et ce bien avant la télévision et les jeux vidéos. Avec la punition de Prométhée dans les mythes grecs, on était loin des Pokémons! Est-il possible de dire que les œuvres d’aujourd’hui sont plus violentes que celles d’autrefois? Plus précises? C’est certains. Plus nombreuses? Cela ne fait aucun doute. Plus fidèles à la réalité? Oui, beaucoup plus. Mais plus violentes? …En fait, peut-être : cela est difficile à dire. Je ne suis pas un expert en histoire de l’art, mais je sais que plusieurs oeuvres anciennes représentaient des scènes de batailles, des scènes de chasse et de mythes, et quelque chose me dit que ces représentations pouvaient elles aussi être très violentes...
Mais de toute façon, la question au centre du discours de ceux qui condamnent la violence dans les œuvres médiatiques est la suivante : peut-on diminuer la violence réelle dans une société en diminuant la violence fictive qui y circule? Leur réponse? "Oui, évidement, et c’est pour cela qu’on doit agir et mettre fin à cet élan de violence médiatique!" La mienne? Je crois que vous vous en doutez! Je choisis de l'introduire avec cette remarque : les « médias », ce sont des outils de « médiation »! Et oui, qui l'eût cru? Lorsque je lis ou j’entends ce genre de discours qui critique la présence de la violence dans les oeuvres de fiction et qui l'accuse de causer de la violence réelle, j’ai l’impression de faire face à des enfants qui ont vu un petit lapin se faire dévorer par un gros méchant loup dans une montagne à travers des jumelles et, qu’après avoir pleuré, ils maudissent les jumelles!
Il est maintenant devenu naturel pour plusieurs de penser que la contemplation d’œuvres violentes (ou la participation, dans le cas des jeux vidéos) doit bel et bien rendre les sujets un peu plus violents à quelque part. De un, on se l’est assez fait répéter (c'est souvent cela qui détermine ce que l'on pense dans une époque donnée), et de deux, si on voit un comportement, on doit bien être tenté de le reproduire à quelque part, non? Ou s’il ne s’agit pas de le reproduire, il doit au moins affecter un peu notre attitude, non? …Non? … Non, pas nécessairement. Il s’agit là d’un préjugé populaire dont les fondements ne sont pas tant solides en fait, bien qu'il nous apparaisse aujourd'hui "évidents".
Initialement, ce préjugé provient probablement d’individus qui cherchaient un coupable à l’existence de la violence (question d’incarner une quête noble!) mais qui se sont contentés d’une réponse assez facile. Ils auraient dû sortir un peu plus de chez eux : n'importe qui possédant des relations sociales le moindrement diversifiées et un bon sens de l’observation peut constater que les êtres les plus doux peuvent très bien apprécier et visionner régulièrement les oeuvres les plus violentes (telles les films de Tarantino) et que les êtres les plus agressifs peuvent très bien être à peine en contacte avec celles-ci. Vous croyez vraiment que les quartiers les plus violents sont ainsi parce que les cinémas ont présenté trop souvent « Die Hard » et que les jeux comme « Grand Thieft Auto » se vendent bien? En fait, lorsqu’il est question de violence dans les bidonvilles par exemple, il est bien plus probable que peu de personnes aient été en contacte avec ces oeuvres médiatiques... La violence "réelle" est très, TRÈS principalement une question de contexte d’éducation, d’habitudes culturelles et de relations humaines : non pas une question de création ou de contemplation d’œuvres d'art! Est-ce si difficile à voir?
Non, pas vraiment. Et pourtant, ça n’a pas empêché ce préjugé de gagner beaucoup en popularité! Il faut dire qu’il est plutôt facile pour une mère ou pour un père d’accuser les émissions violentes et les consoles de jeu dès que leur enfant démontre un minimum d’agressivité... plutôt que d’accuser leur attitude lors des moments où ils se fâchent violemment après leur mari, leur femme, ou leur enfant justement! Est-ce si étrange de penser que si certaines personnes « pognent les nerfs » d’un rien dans l’entourage d’un enfant, cela contribue plus au développement de son agressivité que les médias qu’il consomme? Dans le sens d’énormément plus? Et qu’en est-il des contactes sociaux de ces enfants? Bah, mieux vaut accuser les Tortues Ninjas à la télévision et le dernier opus de la série Devil May Cry sur Playstation 3 : c’est tellement plus « logique »! Après tout, qu’est-ce qu’une petite engueulade familiale à côté de ces démons qui se battent et se tuent sans arrêt? Dans nos moments d’engueulades au moins, il n’y a pas de sang ni de gros fusils!
Et le pire dans tout cela, c’est que si nous avions vraiment à formuler une hypothèse concernant l’existence d’un lien important entre la consommation d’images violentes et les comportements violents dans la société, nous serions bien plus légitimés de postuler l’inverse de ce préjugé! En effet, il serait bien plus cohérent d’avancer que plus la violence est représentée "en détail" dans les oeuvres de fiction (aujourd'hui) et que plus ces oeuvres sont accessibles, moins elle est exécutée dans le monde réel en tant que solution pour régler des conflits. Vous avez un conflit important avec quelqu’un? Vous ne le provoquerez pas en duel : vous le poursuivrez en cours. Vous êtes un membre sérieux d’un parti politique qui s’oppose à un autre? Ou d’un syndicat qui s’oppose à leurs patrons? Vous ne ferez pas d’actes de destruction et de violence : vous vous attaquerez simplement à la réputation de l’autre. Vous venez d’apercevoir un individu tenter de voler votre boutique? Vous ne lui couperez pas la main : vous ne ferez qu’exprimer votre mécontentement à différents degrés ou, dans le pire des cas, vous appellerez la police... qui ne lui infligera pas la moindre punition physique.
Vous savez ce que ça donne quelqu’un qui croit réellement que moins il y a de violence dans les médias, plus il s’agit d’un meilleur exemple pour les enfants? Ça donne ça :
*Brrrrrrr!* Et vous savez ce que j’ai le goût de faire quand je vois ça? Ouvrir mon Playstation 2 et aller tuer quelques démons dans un Devil May Cry!