Une société superficielle? Avec plaisir!

Une société superficielle

Combien de fois ai-je entendu dire que nous vivions dans une société « superficielle »?

La raison pour laquelle cette critique est si populaire, c’est qu’elle peut être inspirée par une foule de phénomènes sociaux. Ce peut être le contenu de certaines publicités, le concept de certaines émissions de télévision ou encore le discours de certains politiciens.

Mais qu’entend-t-on exactement par « superficiel »? Même si nous employons ce terme régulièrement, nous devons reconnaître qu’il s’agit d’un concept à la fois très complexe et très abstrait. Après tout, il peut être appliqué non seulement à une société, mais aussi à une personne, à une idée ou à un message.

Dans tous les cas, une critique qui emploie le concept de superficialité est motivée par un désir de vérité, d’authenticité et de pertinence. Ainsi, lorsque nous disons d’une société qu’elle est « superficielle », le plus souvent, nous lui reprochons la quantité abusive d’activités de communication qui s’articulent autour de la dynamique de l’image. En d’autres mots, nous affirmons que nous en avons assez des organisations politiques et commerciales qui se présentent à nous par le biais d'une image créée artificiellement. En tant que récepteur, ce que nous voulons percevoir, c’est l’organisation « telle qu’elle est », c’est-à-dire sans artifices et sans mensonges.

Les origines nébuleuses de la superficialité




Puisque la critique de la superficialité s’adresse généralement à la société en tant que résultat de l’ère industrielle, du capitalisme et du néolibéralisme, nous pourrions être tentés de croire que la dynamique de l’image est née avec le marketing moderne. Or, il n’en est rien. Créer ou gérer l’image d’un groupe ou d’un individu est une pratique qui existait déjà non seulement au Moyen-âge, mais aussi pendant la Rome et la Grèce antique. Et probablement avant. Quant au combat qui oppose le désir de vérité et d’authenticité à la superficialité de la société, lui non plus ne date pas d’hier. Ce sont des thèmes que nous pouvons facilement retrouver dans les écrits de Platon ou encore dans les écrits sacrés.

La dynamique de l’image pourra-t-elle être dépassée un jour? Ou la société est-elle condamnée à être éternellement superficielle?

Le défi : Créer une image non artificielle

Pour répondre à cette grande question, posons d’abord celle-ci : Comment parvient-on à communiquer des renseignements sur une organisation ou une personne sans créer une « image artificielle »? En disant « la vérité »? D’accord. Mais quelle vérité? Si, par exemple, vous aviez à rédiger un paragraphe pour présenter la station Radio-Canada « telle qu’elle est », qu’écririez-vous? Et si vous aviez à faire le même exercice sur les épiceries IGA? Sur le combattant Georges St-Pierre? Sur le gouvernement fédéral? Sur les Québécois?

La vérité, c’est que vous seriez contraints de choisir parmi différentes vérités et que, par là, vous créeriez inévitablement une image. Les communicateurs modernes, ces professionnels que nous accusons de tous les maux, sont confrontés quotidiennement à ce type de choix. Or, même s’ils voulaient modifier l’image de leurs clients en étant le plus fidèle possible à la « réalité », eux aussi seraient contraints d’effectuer une sélection dans l’infinité d’informations et d’interprétations disponibles.

IGA et Georges St-Pierre : même combat!


Poursuivons le défi. Pour présenter les épiceries IGA, vous n’axeriez sans doute pas sur la vie de leurs concierges, mais plutôt sur leurs produits d’alimentation et sur la personnalité de leurs commis. Pour présenter Georges St-Pierre, vous ne parleriez sans doute pas d’une petite blessure qu’il a eue lors d’un entrainement, mais plutôt de ses impressionnantes victoires.

Or, en effectuant une telle sélection, vous seriez infidèles à des réalités qui pourraient importer à des individus autres que vous, à des individus qui n’ont pas les mêmes priorités et les mêmes objectifs que vous. En d’autres mots, vous créeriez une image que vos détracteurs pourront éventuellement qualifier d’« artificielle ».

Par exemple, la personne dont le souci sera de démontrer la mauvaise condition des concierges chez IGA aura tendance à qualifier votre belle image d’artificielle, tout comme la personne qui voudra démontrer que la compétition dans les sports de combat est souvent dangereuse pour la santé. Pourtant, lorsque vous aviez effectué votre choix pour parler d’IGA et de Georges St-Pierre, vous n’étiez pas de mauvaise foi. Ou, du moins, pas nécessairement.

Il est donc non seulement nécessaire de créer une image lorsque l’on souhaite partager de l’information sur une organisation, mais il est aussi impossible de garantir que cette image ne pourra pas être qualifiée d’« artificielle » par quelqu’un d’autre.

Cela ne signifie pas que toutes les critiques de la société qui s’appuient sur le concept de superficialité sont insignifiantes. Cela signifie seulement que lorsque nous avons l’impression qu’une organisation moderne nie son authenticité et qu’elle nous « ment », en fait, souvent, elle effectue une sélection tout à fait justifiable. Cela signifie aussi que les communications modernes ne sont pas aussi décadentes que plusieurs personnes dîtes « engagées » le martèlent.

« La superficialité est mauvaise » : un préjugé moral superficiel?

En fait, il serait peut-être temps de remettre en question la connotation morale qui accompagne généralement l’opposition entre la superficialité et l’authenticité, entre les apparences et la réalité. Alors que la superficialité et les apparences sont souvent jugées mauvaises d’emblée, l’authenticité et la réalité, elles, sont plutôt sont jugées bonnes. Cette association est tellement ancrée en nous qu’elle est devenue presque instinctive. C’est pour cette raison que le terme « superficiel » a généralement la fonction d’une insulte alors qu’en réalité, être superficiel n’est pas toujours mauvais en soi.

Prenons le cas classique d’une adolescente intellectuelle et introvertie qui ne se gêne pas pour qualifier un groupe de jeunes filles branchées et à la mode de « superficielles ». Advenant que cette adolescente n’ait jamais adressé la parole aux jeunes filles, son jugement sera ironiquement des plus superficiels. Après tout, il s’appuiera uniquement sur les apparences. En théorie, la seule chose que l'adolescente affirme avec son jugement, c’est que les jeunes filles branchées accordent beaucoup d’importance à leur apparence, ce qui n’est aucunement condamnable en soi, bien au contraire. Mais ici, le terme « superficiel » sert surtout d’insulte. Il témoigne essentiellement de l’aversion que l’adolescente a instinctivement (superficiellement?) envers les jeunes filles, sans toutefois connaître leurs véritables personnalités.

Il en va de même lorsque, par exemple, un jeune adulte avec des rastas, un bandeau et des vêtements amples qualifie de « superficiel » un homme aux cheveux courts qui s’habille fréquemment en veston-cravate. En réalité, les deux hommes suivent un code vestimentaire : le premier ne fait qu’exprimer son aversion envers le second, alors qu’il est théoriquement aussi « superficiel » que lui.

Une critique pour les superficiellement profonds

Dans le même ordre d’idées, la personne qui reproche à la société d’être « superficielle » ne fait souvent qu’exprimer son aversion envers celle-ci, ou plutôt envers une incarnation particulière de celle-ci. Or, même si émettre cette critique peut donner l’impression d’être intelligent et profond, une telle critique n’est pas nécessairement… intelligente et profonde. En fait, souvent, elle cible des phénomènes inhérents aux communications, c’est-à-dire au langage et à la perception.

Pour reprendre l’expression de Nietzsche, mieux vaut être profondément superficiel que superficiellement profond!