Malgré cette difficulté, souvent, chaque individu semble trouver que la validité de son opinion est « évidente », et ce par réflexe : c'est dans ces cas que nous pourrions être tentés de parler d’opinions « automatiques ». Pourtant, dans le cas des questions qui portent à controverse (avortement, privatisation du système de santé, réforme scolaire, longueur des peines en prison, accommodements raisonnables, interventions internationales, etc.), soit celles qui sont habituellement débattues, il y a d’importantes disparités dans les opinions et la notion « d’évidence » ne devrait pas vraiment s’appliquer. L’opinion des individus à propos de ces questions est généralement « déjà-là » et les informations ne sont cherchées que par la suite pour approuver ou justifier cette opinion. Évidemment, la recherche s’effectue alors dans cette optique et risque de négliger certains aspects de la question. Il est rare que, lorsqu’on questionne un individu sur un sujet controversé, celui-ci admette « ne pas y avoir pensé ». Selon cette approche, une opinion que l'on pourrait qualifier « d'autonome » naîtrait qu'après une réflexion ou une recherche d’informations et non pas avant. Notez au passage que je m’inclus à « ces individus » : je n’adhère pas à la tendance malheureusement trop présente d’analyser ou de juger « les gens » et de s’en distinguer! Mais où je veux en venir avec toutes ces histoires d’opinions?
Qu’aucune personne (aussi intelligente se considère-t-elle…) n’est à l’abri des « opinions réflexes » ou des « opinions automatiques ». Ce type d’opinion permet un phénomène assez intéressant : nos actions concrètes et nos convictions peuvent se révéler tout à fait contradictoires à certaines de nos opinions (révélant ainsi qu’elles sont « automatiques » et que, si nous prenions la peine d’y réfléchir, nous n’y adhérions probablement pas). Ainsi, telle personne peut avancer qu’on ne doit pas juger la personnalité sur les apparences et sur les stéréotypes mais, étant quelqu’un de prude, elle se moque et juge la personnalité des jeunes filles trop peu habillées par exemple. Dans ce cas, l’opinion selon laquelle « on ne doit pas juger la personnalité sur les apparences » peut être en réalité un principe gravé par l’éducation morale mais aucunement assumé et pratiqué par l’individu.
À partir de ce point, ce que j’avance est quelque peu ambitieux et plusieurs seront sans doute en désaccord. Mais tant mieux : pour être honnête, c'est dans ces cas que je prends le plus plaisir à écrire! Il y a une « opinion automatique » à laquelle tout le monde adhère, à un point tel qu’il n’y a pas de controverse et qu’il est donc presque impossible de la remettre en question. Ce qui est intéressant, c’est que le phénomène décrit plus haut se produit avec cette fameuse opinion : tout le monde la contredit par leurs attitudes, leurs convictions et leurs actions. Quelle est donc cette puissante supercherie? L’idée que nous devrions aider les pays les plus démunis de manière à ce que le confort de leur population se rapproche le plus possible du « nôtre » (principalement les pays Nord-Américains et Européens). L’opinion que « nos » pays riches (je prends en considération que vous, lecteurs, possédez un ordinateur et du temps pour lire cet article, et donc que vous en faites parti…) sont trop riches et que la situation économique mondiale devrait être plus équilibrée. Nous avons tous déjà été confrontés à des statistiques qui dénoncent les injustices mondiales (« Tel pourcentage de la richesse mondiale appartient uniquement aux dix pays les plus riches du monde » « Tel personne possède le P.I.B. de tel pays », etc.). Ce type de statistique est en effet impressionnant et provocateur : avouons que l’idée qu’une seule personne puisse posséder plusieurs milliards de dollars et les garder uniquement pour ses propres intérêts est assez difficilement concevable! Pourtant, en termes purement économiques et mathématiques, proportionnellement, vous-même gardez votre argent pour vos propres intérêts et représentez sans doute cet individu milliardaire par rapport à plusieurs autres milliers de personnes...
L’idée ici n’est pas de dire qu’il n’existe pas d’inégalités ou que ces inégalités ne doivent pas être considérées injustes, ce serait absurde (l’idée de « justice » est, après tout, intimement liée à celle d’égalité). L’idée n’est pas non plus de dire que concrètement, avec vos actions, vous n’avez rien à faire des personnes plus démunies et qu’elles ne vous importent aucunement. Pourquoi? Parce qu'après tout, soyez honnêtes : vous le savez déjà! En effet, le mieux que certaines personnes accomplissent est peut-être de donner un peu d’argent à des œuvres de charité, mais nous savons tous que notre « routine » et nos préoccupations personnelles n’ont en général rien à voir avec l’aide internationale. Certaines personnes plus rares font un voyage d’aide humanitaire, mais il s’agit plus souvent d’une « expérience de voyage » qui se transforme très rarement en vocation. Non, l’idée est plutôt de dire que les principes qui rendent ces inégalités possibles sont à la base du fonctionnement de notre société et ont pénétré notre mentalité (au-delà de l’économie) à un point tel… que très rares sont ceux et celles qui voudraient s’en débarrasser, même au prix des inégalités internationales. Bref, au-delà de votre « opinion automatique », si vous vous attardiez sérieusement au sujet autrement qu'en répondant par pur réflexe, si un choix concret devait réellement être fait (et il l’est sans doute plus souvent que nous le croyons), je paris que vous souhaiteriez volontairement ces inégalités. Ouf, hard n’est-ce pas?
Qu’il soit question de salaire, de services ou de produits de consommations, nous en voulons toujours davantage pour notre usage personnel et ce indépendamment (voir au dépend) des ressources disponibles pour le groupe, soit souvent la société (c’est à cette attitude que l’on fait habituellement référence lorsqu’on parle de la montée de « l’individualisme »). Pensons aux syndicats : aujourd’hui, ces associations sont beaucoup critiquées puisqu’aux yeux de la société, elles semblent davantage exiger des caprices que des nécessités (contrairement à ce dont il était question à l’époque de leur naissance). Le même principe s’applique pour de nombreuses (non pas toutes!) manifestations et grèves : nous voulons retirer le maximum de ce que nous pouvons retirer du point de vue de « notre rôle », « de l’intérieur », indépendamment du bien de la société et de son regard (bien que quelques fois, ces causes prétendent hypocritement servir le bien de la société, camouflant l'égoïsme de la véritable motivation). On trouvera donc peu surprenant qu'il en aille de même pour notre rôle en tant que nation dans les interactions internationales.
« Se contenter du nécessaire » : voilà l’attitude ou la mentalité qu’exigerait l’égalité internationale considérant la disponibilité réelle des ressources économiques et naturelles! Une attitude non seulement que nous n’avons pas, évidement, mais surtout que nous ne voulons pas. Cruel comme auto-examen vous dîtes ? Mais bon, une fois de plus, soyons honnête : définir le « nécessaire » dans cette maxime serait tout un défi de société! Serait-il définit en terme de salaire? De biens? De services? Ou même de libertés? Ou un peu de tout? Un tel défi serait difficile, certes, mais tout de même réalisable (même s’il exigerait une définition inévitablement arbitraire). Or, le fonctionnement économique et la mentalité de nos « sociétés riches » ne nous laisse même pas l’occasion de relever ce défi puisqu’ils poussent la notion même de « nécessaire » à l’absurde, l’augmentant toujours dès qu’elle est atteinte, qu’il s’agisse d’acquisitions ou de confort en général (mentalité commanditée par le monde de la pub!). Voitures, cellulaires et lecteurs DVD : caprices ou nécessités? On ne sait plus… Notre ami Diogène le cynique ne serait pas fier de nous! Je ne dis pas ici que ces principes de vie sont mauvais : à vous d’en juger. Après tout, c’est sans doute grâce à des principes du genre que la technologie ne cesse de se dépasser! En effet, c’est souvent (toujours?) grâce à l'intérêt économique des nouvelles technologies que les créateurs obtiennent des fonds pour la recherche et le développement. Ce que j’avance, c’est que cette mentalité est incompatible avec une égalité internationale, voire simplement une importante réduction des inégalités… et que nous y tenons, même en ayant conscience des résultats.
Autre exemple récurent de l’augmentation sans limites du « nécessaire » : une compagnie privée produit d’importants bénéfices. Que fait-elle ? Elle les réinvestit souvent dans des gadgets pour améliorer son « image » ou le confort de ses clients. Puis, avec le temps, ces gadgets deviendront tranquillement des « standards » et de nouveaux émergeront. Avec un peu de recul, les fameuses portes automatiques aujourd’hui si courantes ne peuvent-elles pas être considérées comme le summum de la lâcheté et du caprice? Mais la compagnie n’a pas besoin d’être « privée » : qui n’aimerait pas que notre système de transport en commun réinvestisse dans des bancs/fauteuils rembourrés plus confortables? En fait, nous pointons du doigt sans arrêt des cas où une somme astronomique d’argent est utilisée pour des projets superficiels alors qu’elle pourrait l’être pour des projets plus nobles d’aide internationale. Pour ne citer qu'un cas, puisque nous parlons de somme « astronomique », le voyage de Guy Laliberté, ça vous dit quelque chose? Mais voilà la question à un million de dollars : pourquoi, malgré ces dénonciations récurrentes, les phénomènes qui causent les inégalités économiques et la pauvreté se perpétuent, voire s’empirent? Bien que plusieurs individus aiment s’imaginer des cornes sur la tête des chefs d’entreprise, principalement des multinationales, en réalité, aucun humain ne peut être insensible à ces documentaires ou à ces émissions chocs qui prennent pour objet les pays les plus démunis. Pourquoi ce phénomène se présente-t-il à nous comme une sorte d’engrenage irréversible que personne ne semble pouvoir contrôler? Voilà la réponse que j’essaie d’esquisser maladroitement ici : parce qu’en réalité, « les autres » qui prennent ces décisions et que tout le monde accuse, ce sont nous, les accusateurs. Au-delà de votre opinion-réflexe, vous ne voulez pas vraiment aider les peuples les plus pauvres, cela se reflète non seulement par vos actions, mais aussi par votre mentalité : vous ne tenez qu’à vous. Aïe! Cette affirmation ne passe pas très bien, n’est-ce pas? Pourtant, prenez la peine de la relire et réalisez à quel point elle est, en réalité, …neutre! C’est encore une fois notre « opinion réflexe » qui tend à l’interpréter comme un reproche. Nous pouvons porter des jugements, certes, mais ici, lorsque je dis « vous ne pensez qu’à vous », je l’avance davantage dans l’esprit d’un constat.
Bref, les ressources naturelles et économiques mondiales, réparties de manière égale, ne pourraient nous permettre de vivre dans les conditions avantageuses où nous vivons présentement. Or, nous ne désirons pas abandonner ce confort, ni surtout les principes de l’individualisme et du libéralisme qui nous permettent d’en espérer toujours davantage et d’être récompensés relativement à notre implication dans le système économique. Nous ne voulons pas abandonner le rêve de nous procurer un jour des caprices comme un écran HD, un Spa, un nouveau système de son, de nouveaux électroménagers, un nouveau cellulaire, un plus grand logement, un nouvel appareil photo, une nouvelle voiture, etc. Si nous avons l’impression que nous ne pouvons rien faire pour corriger les inégalités internationales et que notre monde est régit par un système semblable à une machine qui, une fois démarrée, ne peut plus s’arrêter, c’est que nous nous mentons. Lorsque nous croyons que nous ne pouvons pas changer les structures sociaux-économiques qui causent les inégalités sur le plan international, c’est parce que notre opinion réflexe (ou automatique) refuse d’admettre qu’en réalité, nous ne voulons pas le changer. Pour ceux et celles qui seraient choqués par cette interprétation, ne vous inquiétez pas, je ne vous interdis pas de garder espoir : ce qui est merveilleux avec les opinions, c’est qu’elles peuvent se modifier!
Bon, vous allez me dire que le Québec constitue un cas particulier dans le Canada, et vous avez raison. Mais cette relation de « non-fierté » que nous entretenons avec notre Premier ministre fédéral ne se produit-elle pas aussi souvent avec notre Premier ministre provincial? Celui-ci n’est-il pas souvent présenté comme un sujet de moquerie et très rarement présenté comme un idéal? Ne critiquons-nous pas plus souvent ses décisions que nous les acclamons? Et pourtant, cette fois, c’est bien nous, les Québécois, qui l’avons élu. Même pour ce qui est du Canada, plusieurs Canadiens anglais sont eux aussi en désaccord avec certaines décisions de leur Premier ministre fédéral. Par exemple, le 28 octobre dernier, 37 villes canadiennes ont manifesté simultanément contre l’implication militaire du Canada en Afghanistan. Ces Canadiens se sentaient-ils bien représentés? J’en doute. Et seriez-vous surpris si je vous disais que ces manifestations n’ont absolument rien changé à la décision officielle, et ce même si nous vivons dans un pays démocratique? Évidemment que non, vous ne seriez pas surpris! Nous avons de la difficulté à imaginer qu’après une manifestation publique, aussi massive soit-elle, le dirigeant d’un pays démocratique dise « Bon bon, O.K., comme vous voulez! Suffisait de le dire! S’il y a quoi que ce soit d’autre, faîtes-moi le savoir et c’est tiguidou! ».
Nous voyons en la démocratie un système politique idéal que nous sommes prêts à défendre, voire même à imposer à d’autres nations. Nous pensons qu’un peuple ne peut se réaliser qu’à travers ce système politique précis. C’est possiblement dans cet esprit que notre Premier ministre fédéral a annoncé au début du mois de décembre 2009 qu’il allait investir autour de 70M$ dans un programme de promotion de la démocratie, et nous savons que les États-Unis possèdent eux aussi un « programme » spécial qui va dans cette direction… Mais la démocratie nous donne-t-elle autant de liberté et de choix que sa prétention nous le murmure gentiment à l’oreille? Pour reprendre son étymologie bien connue, dans quelle mesure le dêmos a-t-il droit au krátos?
Si on s’entend pour dire que la liberté d’expression est une chose distincte de la démocratie et qu’elle pourrait persister dans un autre système politique, concrètement, quel est le « pouvoir » du citoyen? Il consiste à… faire un « X » à chaque quatre ans. Voilà. Ensuite, tout le monde peut avoir le sentiment que les engrenages fonctionnent d’eux-mêmes et que leur pouvoir individuel a disparu. Le leader en question peut ou non respecter les promesses qu’il a fait, il peut ou non modifier le plan qu’il a présenté, tout comme il peut faire entrer de nouveaux éléments dans son plan. En un sens, c’est une chose nécessaire car l’on doit s’adapter aux circonstances. Mais une véritable démocratie n’impliquerait-elle pas la consultation du peuple pour les décisions importantes? Et si, en plus de voter pour un député, en plus de faire notre fameux « X », nous pouvions aussi voter pour des idées? Imaginez une section « pour ou contre » sur le bulletin de vote (ou avec une échelle d’appréciation de 1 à 5) qui nous permettrait de donner notre avis sur une vingtaine de projets ou de lois proposées par… tous les partis politiques! Avec un tel système, nous nous rapprocherions d’une démocratie dans laquelle l’expression « pouvoir au peuple » a du sens! Avec Internet, des référendums pourraient avoir lieu bien plus fréquemment qu'à chaque 4 ans. L’idée n’est pas tant utopique : cela se rapproche de ce qui se passe en Suisse où le peuple a le droit permanent de créer un référendum sur une décision prise par le parti au pouvoir et peut même officiellement en suggérer de nouvelles.
Car lorsqu’on y pense, concrètement, sommes-nous en accord ou en désaccord avec les personnes elles-mêmes, quoi qu’elles décident, ou plutôt avec leurs idées? Ne peut-on pas avoir plusieurs opinions en commun avec une personne, mais différer d’avis sur un point? Pour faire une analogie, diriez-vous à quelqu’un qui vous est proche : « puisque tu m’as convaincu cette semaine, pendant 4 ans, je suis d’accord avec toi peu importe ce que tu dis et ce que tu fais! »? Que cet exemple soit appliqué à un couple, à une famille ou à des ami(e)s, quelque chose me dit que cette formule ne serait pas gagnante… Et pourtant, dans la démocratie, c’est un peu ce type d’entente que nous avons avec notre gouvernement, ce qui crée des sources incroyables d’insatisfaction.
En plus du problème décrit plus haut, il y a une raison simplement mathématique pour expliquer que peu de personnes s’associent totalement à nos dirigeants. En moyenne, le taux de participation est d’environ 70% aux élections provinciales, 45% aux municipales et de 60% aux fédérales. Pour faire notre calcul, prenons le cas des élections fédérales puisqu’il s’agit ni du taux le plus haut, ni du plus bas. Pour qu’un parti soit élu majoritaire il doit avoir plus de 50% des voix… ce qui arrive très rarement. Par exemple, aux dernières élections fédérales en 2008, le Parti Conservateur a reçu environ 38% des voix. Cela signifie que 38% de 60% de la population (donc environ 23% de la population) a voté pour notre Premier ministre actuel (ou plutôt pour un député qui lui est associé, ce qui complique la chose). Cela n’inclue évidement pas les personnes en dessous de 18 ans : si on souhaitait être exacte, on enlèverait donc environ 20% , ce qui nous donnerait 18,4% de la population canadienne. Mais bon, pour être franc, je n’aime pas tant les statistiques : contrairement à leur prétention, elles expriment plus souvent des points de vue que des faits. Mais avouons que lorsqu’il est question d’élections, il est difficile de ne pas y recourir! De toute façon, parmi ces 18% de Canadiens, quelle proportion connaît réellement les intentions officielles ou réelles du parti?
Après tout, les campagnes électorales ressemblent surtout à des campagnes de publicité dans lesquelles on tente de vendre un produit en jouant sur le subconscient et la manipulation. En effet, durant cette période, à chaque coin de rue (de manière étrangement abusive, vous constaterez vous-mêmes!), on retrouve des affiches avec le visage du député de l’arrondissement ou du chef du parti avec un court slogan, ou simplement « Votez X » ou « Votez Y ». Puis, lorsque les partis ont l’occasion de s’exprimer davantage, ils choisissent souvent de... rabaisser leurs adversaires. Il est rare qu’un parti s’exprime publiquement en disant « Vous savez, l’idée X de cet autre parti, nous n’avions pas vraiment envisagé le problème de cette manière et ce n’est donc pas vraiment dans notre plan… mais c’est une perspective et une solution très brillante! Chapeau! ». La compétition a ses bons côtés, mais avec cette forme de campagne, l’idée n’est pas de juger de la qualité des plans « adverses » : c’est d’argumenter dans l’autre direction pour convaincre qu’ils sont mauvais. Au fond, il s’agit tous des citoyens du même pays ou de la même province, qui font face aux même problèmes!
Je vais être provocateur, mais considérant tous les points énumérés plus haut, ne pourrions-nous pas considérer que notre démocratie, en dessous de sa parure d’idées nobles, n’est pas si loin… d’une dictature? …Dans laquelle on inclurait toutefois la liberté d’expression, nuance importante si l’on souhaite distinguer notre « dictature démocratique » des nombreuses dictatures qu’a connu l’histoire! Mais malgré le caractère péjoratif du mot « dictature », la vraie question est de savoir si cette « dictature »... est nécessairement un mauvais système politique. Ouf! N’est-ce pas là une idée encore plus provocatrice? Pourtant, la question se pose : la masse est-elle réellement la mieux placée pour prendre des décisions politiques? Nous avons aujourd’hui tellement foi en la démocratie et en ses principes que nous n’osons plus poser cette question. La démocratie s’est présentée comme salvatrice face aux injustices jadis commises par la monarchie. Pour cette raison, l’esprit populaire a associé ces systèmes politiques à une opposition « bien » V.S. « mal » dans laquelle la démocratie incarne le bien. Toutefois, s’il y a bien une caractéristique de la sagesse, c’est de réaliser que les oppositions entre le bien et le mal sont rarement aussi simples qu’elles nous apparaissent et qu’elles peuvent se modifier avec le temps…
Lorsqu’il est question de prendre des décisions, un petit nombre de personnes qui entretiennent un point de vue d’ensemble sur la société ne peut-il pas être plus efficace qu’une masse innombrable de personnes qui ont chacun leur petit point de vue individuel? Si chacun cherche son bonheur individuel mais que certains de ces bonheurs ne sont pas conciliables, qui est le mieux placé pour prendre la « meilleure décision »? Une des deux personnes en conflit ou une personne extérieure qui les observe? Pour prendre un exemple économique fictif, imaginons que nous avons un budget gouvernemental de 100M$ et que la santé demande 40M$, l’éducation 40M$, les transports 20M$, les programmes écologiques 10M$, l’industrie du bois 20M$, l’entretient des routes 10M$, les relations internationales 10M$, etc. Qui est le mieux placé pour prendre la décision concernant la distribution budgétaire? Les médecins? Les professeurs et les étudiants? Les chauffeurs d’autobus? Les groupes écologiques? Les commerçant de bois? Les travailleurs de la route? Les diplomates? etc. Est-ce si intolérable et absurde de répondre « aucune de ces réponses »?
Non, pas vraiment, mais une fois que la démocratie est implantée, il est difficile de voir comment elle pourrait céder à un autre système politique qui n’impliquerait pas le droit de vote : cela exigerait que la majorité des citoyens vote… pour abolir leur droit de vote! Ainsi, si les dirigeants d’une société démocratique constatent que le peuple n’est pas toujours le mieux placé pour décider, il se doit de déguiser les aspects tyranniques nécessaires à un bon gouvernement en aspects démocratiques par tous les moyens possibles… L’idée ici n’est pas de paranoyer ou de crier à une sorte de complot, mais simplement de remettre en question l’idéal démocratique. Qui sait, peut-être que si nous prenions conscience et assumions l’hypocrisie de ce système politique, que si nous comprenions la différence entre ce qu’il prétend être dans l’esprit populaire et ce qu’il est réellement, peut-être aurions-nous plus de chances de l’améliorer! Et peut-être serions-nous moins naïvement surpris à chaque fois qu’un parti politique ne respecte pas ses promesses ou prend une décision qui ne concorde pas avec nos intérêts...
De toute façon, avec moi, c’est pas compliqué : aux prochaines élections, je vote pour le premier parti qui prend le budget alloué à la conception, à la fabrication et à l’installation des pancartes électorales, puis qui fait une loterie avec pour ses électeurs. Pas d’hypocrisie : au moins, ce scandale-là, il serait public en partant!