L'utilité d'une formation inutile
« À quoi cela me servira-t-il? » : Qui ne s’est jamais posé cette question dans un contexte scolaire à propos d’une matière précise? Peut-être ne vous l’êtes-vous jamais posée, mais l’aspirant graphiste qui ne passait pas ses cours de physique, lui, se l’ait sans doute déjà posée! Tout comme l’aspirant médecin qui ne passait pas ses cours de géographie et l’aspirant informaticien qui ne passait pas ses cours de français… ou encore n’importe quelle autre personne qui passe tous ses cours mais qui remet malgré tout en question leur contribution à son futur personnel. Dans plusieurs cas, ce type de questionnement se produit et s'exprime surtout à l’adolescence. Mais au fond, ce questionnement disparaît-il nécessairement avec l’âge? Dans un contexte où les études peuvent difficilement être pensées sans le marché du travail, l’idée d’une « formation générale » n’invite-t-elle pas automatiquement la remise en question de sa pertinence? Ceux et celles qui ont choisis (ou qui se sont vus forcés) de se passer d’études peuvent facilement considérer celles-ci inutiles s’ils gagnent suffisamment bien leur vie. Même ceux et celles qui ont terminé des études avancées peuvent facilement jeter un regard rétrospectif et critiquer à quel point la majorité de leurs cours était « inutile » par rapport au métier concret qu’ils exercent. « Utilité » et « inutilité »… Lorsque l’éducation est pensée en ces termes, la pertinence d’une formation générale est discutable et une question étrangement paradoxale surgie : « Quelle est l’utilité des cours inutiles? ». Mais pourquoi tendons-nous à penser l’éducation en ces termes? Est-il possible de penser l’éducation d’une autre manière, non pas uniquement pour la justifier telle qu’elle est, mais potentiellement pour la comprendre et l’améliorer?

L’éducation étant habituellement obligatoire jusqu’à 16 ans, il s’agit d’un phénomène de société qui rejoint, il me semble, l’expérience de la majorité des citoyens. Mais sans nécessairement se limiter au contexte scolaire, en fonction de quel critère effectuons-nous une classification utile/inutile, productif/non-productif de nos actes et de nos choix? C’est bien évidement fonction d’une fin, d’un objectif que nous nous fixons. C’est parce que je dois faire du rangement que regarder la télévision est inutile et c’est parce que je dois faire un travail de recherche qu’aller prendre un verre avec des amis est inutile. Mais regarder la télévision peut devenir utile si mon objectif est de relaxer ou de ne pas manquer une émission dont le sujet m’intéresse particulièrement, tout comme aller prendre un verre avec des amis peut aussi être utile si j’ai envie de socialiser et de me changer les idées. L’action est donc utile ou inutile non pas en elle-même, mais uniquement en fonction d’un objectif que l’on se fixe, parfois plus ou moins consciemment. Mais ces petits objectifs quotidiens et changeants me semblent subordonnés à un but plus élevé, plus général, qui lui est susceptible de nous éclairer sur la manière dont nous percevons l’éducation : « réussir sa vie ». Ouf, un peu vague et abstrait, n’est-ce pas? Pourtant, qui ne veut pas « réussir sa vie »? N’est-ce pas en fonction de cet objectif plus ou moins clairement formulé et plus ou moins conscient que nous effectuons nos grands choix, parfois sans même y penser? Chose certaine, c’est clairement notre conception d’une vie réussie qui nous incite à penser l’éducation en termes d’utilité ou d’inutilité.

Car au fond, quelle est la conception commune et répandue d’une vie réussie? Qui allez-vous me pointer du doigt en disant « Lui, il a vraiment réussi sa vie »? Ici, je suis peut-être prévisible, mais comprenez que l’idée de cet article n’est pas de tomber dans un cynisme profond et superficiel qui combat notre « société moderne de consommation »! Loin de moi ce cliché! Toutefois, pour poursuivre cette réflexion, nous devons admettre en toute honnêteté que si vous souhaitiez répondre à cette question, il y a beaucoup plus de chances que vous me pointeriez du doigt quelqu’un qui a une villa ou une énorme maison que quelqu’un qui a un petit appartement miteux. Quelqu’un qui a le statut de propriétaire, d’entrepreneur ou de patron, que celui de simple employé. Quelqu’un de connu dans le public que quelqu’un d’inconnu. Quelqu’un possédant un travail respecté en société, comme médecin, avocat, politicien (malgré tout ce que l’on dit…), enseignant, architecte, que quelqu’un occupant un emploi considéré plus banal, comme commis, caissier, homme d’entretien, chauffeur de camion ou de taxi, etc. Ce jugement peut paraître arbitraire aux yeux de certains, justifié aux yeux des autres, mais il s’agit bel et bien de notre jugement-réflexe et celui-ci s’effectue assez clairement en fonction d’un critère lié à l’emploi et au salaire. Mais si l’utilité d’une formation est pensée en fonction du but qu’est la réussite d’une vie et que cette réussite est communément conçue en fonction du salaire et à l’emploi, comment justifier l’idée d’une formation générale? Des cours qui ne servent ni à l’emploi ni à « la vie » peuvent-ils être considérés « utiles »? Cette question n’est pas si simple. Pourtant, vous serez d’accord que quelque chose cloche intuitivement dans l’idée de ne fournir aucune formation générale mais uniquement une formation spécialisée et ce, directement dès le primaire par exemple. Nous sommes d’accord pour avancer que les enfants doivent bénéficier d’une formation générale jusqu’à un certain âge. Mais jusqu’à quel âge? Et… pour quelles raisons au juste? En fonction de quelle conception d’une « vie réussie »? Par habitude peut-être. Mais certainement pas en fonction de la conception qui nous incite à pointer du doigt les individus des exemples précédents!

Même si nous nous laissons tous guider plus ou moins consciemment par une conception d’une « vie réussie » basée sur les possessions, l’emploi, le pouvoir et la popularité, nous sommes tous conscients des pièges qu’elle implique lorsque nous y réfléchissons le moindrement. C’est par exemple une évidence qu’un homme puisse réussir sa vie selon la conception commune présentée plus tôt et l’avoir échouée de son propre point de vue, tout comme l’inverse est aussi possible. Mais il n’est même pas nécessaire d’y réfléchir : on peut aussi simplement vivre et sentir ces pièges. Car c’est aussi une évidence que si un homme vous impressionne de l’extérieur par sa richesse et sa popularité puis qu’en le rencontrant, vous découvrez qu’il est malhonnête, lâche et particulièrement jaloux, automatiquement, sa vie ne vous semblera pas aussi réussie, et ce sans la moindre réflexion. Soit dit en passant, je n’avance pas que la richesse et la popularité excluent une personnalité respectable, heureuse et « réussie », loin de là : mais nous devons garder à l’esprit que cela est bel et bien possible.

Quand nous parlons de ce type de « vie réussie », nous concevons notre vie comme une sorte de film ou d’histoire, c’est-à-dire comme un enchainement d’évènements et d’accomplissements observables et distinguables qui méritent d’être jugés plus ou moins bons et impressionnants. « J’ai voyagé sur 5 continents, j’ai créé ma compagnie, elle a fait faillite, je m’en suis créée une autre et elle a réussi, je me suis procuré une belle maison, je suis passé dans les journaux 2 fois, j’ai eu 3 femmes qui m’ont aimé, j’ai publié un livre apprécié des critiques, je me suis même procuré un yacht… Bilan? J’ai réussi ma vie! ». Le premier piège de cette conception est que, puisque certains évènements n’ont de sens que lorsqu’un autre évènement se produit plus tard (l’échec d’une première compagnie – la compréhension des erreurs liées à l’échec – la réussite d’une seconde compagnie), il est difficile de faire un bilan complet de notre vie et donc de la qualifier de réussite ou d’échec… avant qu’elle ne soit terminée. Ce qui, avouons-le, est plus ou moins pratique et logique. Sans vouloir me lancer trop profondément dans une hypothèse de justification historico-culturelle, il est possible que cette manière de concevoir et de penser nos vies (réussite / non-réussite) provienne d’un héritage chrétien profondément ancré dans les racines de notre mentalité. L’athéisme n’élimine pas d’un seul coup toutes les influences historiques : le monde a tout de même été chrétien pendant extrêmement longtemps! Ce pourrait être pour cette raison que nous aurions tendance à penser notre vie en terme de bilan qui peut être jugé, qui « passe » ou qui ne « passe pas », un jugement qui nous faisait traditionnellement mériter le paradis ou l’enfer. Si cette manière de penser nos vies est profondément ancrée en nous, elle s’est clairement vidée de son sens religieux. Mais il n’est pas impossible qu’elle ait été « remplie » par un nouveau sens, cette fois-ci donnée par ce que nous pourrions appeler « l’économisme ». Par l’intermédiaire des médias, cet « économisme » définit stratégiquement la « vie réussie » non plus principalement par l’absence du péché comme le faisait le christianisme, mais par l’acquisition de biens, nous incitant ainsi à faire fonctionner l’économie. Ainsi est possiblement née la conception commune d’une « vie réussie ».


Mais si cette conception d’une « vie réussie » comme un enchaînement d’évènements est piégée et erronée… que nous reste-t-il? Nous pouvons aussi concevoir la « vie réussie » comme la saisie et la recherche permanente des occasions de développer certains traits de caractère, certains sentiments, certaines valeurs et surtout certaines capacités et certains talents. Bref, sans vouloir tomber dans une distinction trop simple, il nous reste la possibilité de penser la « vie réussie » non pas en fonction de ce que l’on acquiert et de ce qu’on accomplit, mais en fonction de ce que l’on devient. Cette idée peut rappeler le concept de « vertu » chez les anciens Grecs, un concept auquel ils accordaient énormément d’importance et qui, justement, pouvait à lui seul servir de critère pour évaluer la « réussite » d’une vie (notons d’ailleurs qu’à cette époque, le monde n’était pas encore chrétien). Se dépasser, se développer, autant physiquement, qu’émotionnellement, qu’intellectuellement, et ainsi toujours attirer non seulement le respect des autres, mais aussi le respect de soi : voilà une « vie réussie ». Le problème est que cette « vertu » n’est pas observable, me direz-vous peut-être? De base, la réussite d’une vie étant avant tout un sentiment humain, elle n’a pas à l’être. Et de plus, d’une certaine manière, c’est faux : lorsque nous entrons en contact avec une autre personne directement et non pas uniquement par l’intermédiaire de sa réputation ou de ses acquisitions, au fond de nous, nous le savons, nous sentons sa réussite ou son échec.

Bien que la conception commune et réflexe d’une « vie réussie » ne justifie aucunement l’idée d’une formation scolaire générale, la seconde conception que je vous ai présentée peut facilement prendre en charge cette justification et elle est, à mon avis, davantage fidèle au vécu humain. La formation générale permet d’initier les individus à des épreuves de diverses natures, à découvrir de nouveaux horizons, à faire des compromis, à développer l‘autonomie, à réaliser leurs talents et leurs défauts, à exploiter des potentiels qui ne l’auraient peut-être jamais été autrement. Elle permet aussi de développer une certaine culture qui alimente la réflexion et par le fait-même la discussion, chose qui peut faire toute la différence entre une personne « intéressante » et « inintéressante », une qualification directement liée à l’estime des autres et à l’estime de soi. L’idée n’est pas d’avancer que seul un contexte scolaire peut développer ces qualités, mais d’avancer qu’il est très susceptible de le faire. Bien sûr, la formation générale peut être exigeante, voire décourageante. Mais il y a un prix à payer pour « réussir sa vie » selon la conception que je vous ai présentée et que je privilégie, et ce prix n’est calculé ni en dollar, ni en euros, ni en livres : il est calculé en efforts, en persévérance et en courage.
Entre ce que vous croyez vouloir et ce que vous voulez
Les opinions que l’on entend couramment sur les sujets d’actualité ou sur les questions d’intérêt public (l’éducation, la politique, l’économie, le divertissement, la morale, la loi, la famille, la santé, etc.) semblent souvent émerger assez intuitivement des individus. Pour expliquer ce phénomène, nous pourrions avancer que, le plus souvent, nos opinions ne sont que le reflet de l’environnement social dans lequel nous avons grandit et ne passent que très rarement par un processus de construction conscient et autonome. Il est vrai que le milieu joue un rôle énorme sur nos opinions, et ce même si nous sommes tous rendus maîtres dans l’art de nous faire croire le contraire (c’est mon opinion à moi! …Une influence? C’est quoi ça?). Mais bon, je vais être honnête dès le départ : lorsqu’il est question de nos opinions, il est impossible de distinguer rigoureusement « ce qui dépend de nous » de « ce qui dépend de notre environnement ». Après tout, les individus ne se distinguent pas radicalement de leurs environnements sociaux : un « cercle social » n’est pas une entité indépendante de ceux et celles qui le composent! Il est donc difficile de distinguer une opinion « automatique » d’une opinion « autonome ».

Malgré cette difficulté, souvent, chaque individu semble trouver que la validité de son opinion est « évidente », et ce par réflexe : c'est dans ces cas que nous pourrions être tentés de parler d’opinions « automatiques ». Pourtant, dans le cas des questions qui portent à controverse (avortement, privatisation du système de santé, réforme scolaire, longueur des peines en prison, accommodements raisonnables, interventions internationales, etc.), soit celles qui sont habituellement débattues, il y a d’importantes disparités dans les opinions et la notion « d’évidence » ne devrait pas vraiment s’appliquer. L’opinion des individus à propos de ces questions est généralement « déjà-là » et les informations ne sont cherchées que par la suite pour approuver ou justifier cette opinion. Évidemment, la recherche s’effectue alors dans cette optique et risque de négliger certains aspects de la question. Il est rare que, lorsqu’on questionne un individu sur un sujet controversé, celui-ci admette « ne pas y avoir pensé ». Selon cette approche, une opinion que l'on pourrait qualifier « d'autonome » naîtrait qu'après une réflexion ou une recherche d’informations et non pas avant. Notez au passage que je m’inclus à « ces individus » : je n’adhère pas à la tendance malheureusement trop présente d’analyser ou de juger « les gens » et de s’en distinguer! Mais où je veux en venir avec toutes ces histoires d’opinions?

Qu’aucune personne (aussi intelligente se considère-t-elle…) n’est à l’abri des « opinions réflexes » ou des « opinions automatiques ». Ce type d’opinion permet un phénomène assez intéressant : nos actions concrètes et nos convictions peuvent se révéler tout à fait contradictoires à certaines de nos opinions (révélant ainsi qu’elles sont « automatiques » et que, si nous prenions la peine d’y réfléchir, nous n’y adhérions probablement pas). Ainsi, telle personne peut avancer qu’on ne doit pas juger la personnalité sur les apparences et sur les stéréotypes mais, étant quelqu’un de prude, elle se moque et juge la personnalité des jeunes filles trop peu habillées par exemple. Dans ce cas, l’opinion selon laquelle « on ne doit pas juger la personnalité sur les apparences » peut être en réalité un principe gravé par l’éducation morale mais aucunement assumé et pratiqué par l’individu.

À partir de ce point, ce que j’avance est quelque peu ambitieux et plusieurs seront sans doute en désaccord. Mais tant mieux : pour être honnête, c'est dans ces cas que je prends le plus plaisir à écrire! Il y a une « opinion automatique » à laquelle tout le monde adhère, à un point tel qu’il n’y a pas de controverse et qu’il est donc presque impossible de la remettre en question. Ce qui est intéressant, c’est que le phénomène décrit plus haut se produit avec cette fameuse opinion : tout le monde la contredit par leurs attitudes, leurs convictions et leurs actions. Quelle est donc cette puissante supercherie? L’idée que nous devrions aider les pays les plus démunis de manière à ce que le confort de leur population se rapproche le plus possible du « nôtre » (principalement les pays Nord-Américains et Européens). L’opinion que « nos » pays riches (je prends en considération que vous, lecteurs, possédez un ordinateur et du temps pour lire cet article, et donc que vous en faites parti…) sont trop riches et que la situation économique mondiale devrait être plus équilibrée. Nous avons tous déjà été confrontés à des statistiques qui dénoncent les injustices mondiales (« Tel pourcentage de la richesse mondiale appartient uniquement aux dix pays les plus riches du monde » « Tel personne possède le P.I.B. de tel pays », etc.). Ce type de statistique est en effet impressionnant et provocateur : avouons que l’idée qu’une seule personne puisse posséder plusieurs milliards de dollars et les garder uniquement pour ses propres intérêts est assez difficilement concevable! Pourtant, en termes purement économiques et mathématiques, proportionnellement, vous-même gardez votre argent pour vos propres intérêts et représentez sans doute cet individu milliardaire par rapport à plusieurs autres milliers de personnes...


L’idée ici n’est pas de dire qu’il n’existe pas d’inégalités ou que ces inégalités ne doivent pas être considérées injustes, ce serait absurde (l’idée de « justice » est, après tout, intimement liée à celle d’égalité). L’idée n’est pas non plus de dire que concrètement, avec vos actions, vous n’avez rien à faire des personnes plus démunies et qu’elles ne vous importent aucunement. Pourquoi? Parce qu'après tout, soyez honnêtes : vous le savez déjà! En effet, le mieux que certaines personnes accomplissent est peut-être de donner un peu d’argent à des œuvres de charité, mais nous savons tous que notre « routine » et nos préoccupations personnelles n’ont en général rien à voir avec l’aide internationale. Certaines personnes plus rares font un voyage d’aide humanitaire, mais il s’agit plus souvent d’une « expérience de voyage » qui se transforme très rarement en vocation. Non, l’idée est plutôt de dire que les principes qui rendent ces inégalités possibles sont à la base du fonctionnement de notre société et ont pénétré notre mentalité (au-delà de l’économie) à un point tel… que très rares sont ceux et celles qui voudraient s’en débarrasser, même au prix des inégalités internationales. Bref, au-delà de votre « opinion automatique », si vous vous attardiez sérieusement au sujet autrement qu'en répondant par pur réflexe, si un choix concret devait réellement être fait (et il l’est sans doute plus souvent que nous le croyons), je paris que vous souhaiteriez volontairement ces inégalités. Ouf, hard n’est-ce pas?

Qu’il soit question de salaire, de services ou de produits de consommations, nous en voulons toujours davantage pour notre usage personnel et ce indépendamment (voir au dépend) des ressources disponibles pour le groupe, soit souvent la société (c’est à cette attitude que l’on fait habituellement référence lorsqu’on parle de la montée de « l’individualisme »). Pensons aux syndicats : aujourd’hui, ces associations sont beaucoup critiquées puisqu’aux yeux de la société, elles semblent davantage exiger des caprices que des nécessités (contrairement à ce dont il était question à l’époque de leur naissance). Le même principe s’applique pour de nombreuses (non pas toutes!) manifestations et grèves : nous voulons retirer le maximum de ce que nous pouvons retirer du point de vue de « notre rôle », « de l’intérieur », indépendamment du bien de la société et de son regard (bien que quelques fois, ces causes prétendent hypocritement servir le bien de la société, camouflant l'égoïsme de la véritable motivation). On trouvera donc peu surprenant qu'il en aille de même pour notre rôle en tant que nation dans les interactions internationales.

« Se contenter du nécessaire » : voilà l’attitude ou la mentalité qu’exigerait l’égalité internationale considérant la disponibilité réelle des ressources économiques et naturelles! Une attitude non seulement que nous n’avons pas, évidement, mais surtout que nous ne voulons pas. Cruel comme auto-examen vous dîtes ? Mais bon, une fois de plus, soyons honnête : définir le « nécessaire » dans cette maxime serait tout un défi de société! Serait-il définit en terme de salaire? De biens? De services? Ou même de libertés? Ou un peu de tout? Un tel défi serait difficile, certes, mais tout de même réalisable (même s’il exigerait une définition inévitablement arbitraire). Or, le fonctionnement économique et la mentalité de nos « sociétés riches » ne nous laisse même pas l’occasion de relever ce défi puisqu’ils poussent la notion même de « nécessaire » à l’absurde, l’augmentant toujours dès qu’elle est atteinte, qu’il s’agisse d’acquisitions ou de confort en général (mentalité commanditée par le monde de la pub!). Voitures, cellulaires et lecteurs DVD : caprices ou nécessités? On ne sait plus… Notre ami Diogène le cynique ne serait pas fier de nous! Je ne dis pas ici que ces principes de vie sont mauvais : à vous d’en juger. Après tout, c’est sans doute grâce à des principes du genre que la technologie ne cesse de se dépasser! En effet, c’est souvent (toujours?) grâce à l'intérêt économique des nouvelles technologies que les créateurs obtiennent des fonds pour la recherche et le développement. Ce que j’avance, c’est que cette mentalité est incompatible avec une égalité internationale, voire simplement une importante réduction des inégalités… et que nous y tenons, même en ayant conscience des résultats.

Autre exemple récurent de l’augmentation sans limites du « nécessaire » : une compagnie privée produit d’importants bénéfices. Que fait-elle ? Elle les réinvestit souvent dans des gadgets pour améliorer son « image » ou le confort de ses clients. Puis, avec le temps, ces gadgets deviendront tranquillement des « standards » et de nouveaux émergeront. Avec un peu de recul, les fameuses portes automatiques aujourd’hui si courantes ne peuvent-elles pas être considérées comme le summum de la lâcheté et du caprice? Mais la compagnie n’a pas besoin d’être « privée » : qui n’aimerait pas que notre système de transport en commun réinvestisse dans des bancs/fauteuils rembourrés plus confortables? En fait, nous pointons du doigt sans arrêt des cas où une somme astronomique d’argent est utilisée pour des projets superficiels alors qu’elle pourrait l’être pour des projets plus nobles d’aide internationale. Pour ne citer qu'un cas, puisque nous parlons de somme « astronomique », le voyage de Guy Laliberté, ça vous dit quelque chose? Mais voilà la question à un million de dollars : pourquoi, malgré ces dénonciations récurrentes, les phénomènes qui causent les inégalités économiques et la pauvreté se perpétuent, voire s’empirent? Bien que plusieurs individus aiment s’imaginer des cornes sur la tête des chefs d’entreprise, principalement des multinationales, en réalité, aucun humain ne peut être insensible à ces documentaires ou à ces émissions chocs qui prennent pour objet les pays les plus démunis. Pourquoi ce phénomène se présente-t-il à nous comme une sorte d’engrenage irréversible que personne ne semble pouvoir contrôler? Voilà la réponse que j’essaie d’esquisser maladroitement ici : parce qu’en réalité, « les autres » qui prennent ces décisions et que tout le monde accuse, ce sont nous, les accusateurs. Au-delà de votre opinion-réflexe, vous ne voulez pas vraiment aider les peuples les plus pauvres, cela se reflète non seulement par vos actions, mais aussi par votre mentalité : vous ne tenez qu’à vous. Aïe! Cette affirmation ne passe pas très bien, n’est-ce pas? Pourtant, prenez la peine de la relire et réalisez à quel point elle est, en réalité, …neutre! C’est encore une fois notre « opinion réflexe » qui tend à l’interpréter comme un reproche. Nous pouvons porter des jugements, certes, mais ici, lorsque je dis « vous ne pensez qu’à vous », je l’avance davantage dans l’esprit d’un constat.


Bref, les ressources naturelles et économiques mondiales, réparties de manière égale, ne pourraient nous permettre de vivre dans les conditions avantageuses où nous vivons présentement. Or, nous ne désirons pas abandonner ce confort, ni surtout les principes de l’individualisme et du libéralisme qui nous permettent d’en espérer toujours davantage et d’être récompensés relativement à notre implication dans le système économique. Nous ne voulons pas abandonner le rêve de nous procurer un jour des caprices comme un écran HD, un Spa, un nouveau système de son, de nouveaux électroménagers, un nouveau cellulaire, un plus grand logement, un nouvel appareil photo, une nouvelle voiture, etc. Si nous avons l’impression que nous ne pouvons rien faire pour corriger les inégalités internationales et que notre monde est régit par un système semblable à une machine qui, une fois démarrée, ne peut plus s’arrêter, c’est que nous nous mentons. Lorsque nous croyons que nous ne pouvons pas changer les structures sociaux-économiques qui causent les inégalités sur le plan international, c’est parce que notre opinion réflexe (ou automatique) refuse d’admettre qu’en réalité, nous ne voulons pas le changer. Pour ceux et celles qui seraient choqués par cette interprétation, ne vous inquiétez pas, je ne vous interdis pas de garder espoir : ce qui est merveilleux avec les opinions, c’est qu’elles peuvent se modifier!
Défendre notre droit... aux malheurs?
Qui n’a pas déjà relativisé son propre malheur ou celui des autres? « Bon sang, arrêtes de te plaindre! Penses aux haïtiens, à ce qu’ils doivent endurer, eux! ». Il s’agit là de l’exemple du moment, mais en général, on aime bien faire référence aux Africains et aux Chinois… Ah ces Africains et ces Chinois, leur stéréotype est toujours là pour nous remonter le moral dans de telles situations! Il y a une raison pour laquelle nous relativisons ainsi nos malheurs ou ceux des autres : une foule de conséquences psychologiquement bénéfiques peuvent émerger de cette opération. Par exemple, le simple fait de se considérer « chanceux » plutôt que « malchanceux » peut s’avérer une forme de consolation en soi, puis parfois même une forme de motivation et d’énergie. En résumé, lorsque certains problèmes, tâches ou épreuves nous apparaissent comme des montagnes, la relativisation nous permet de prendre conscience que pour d’autres personnes, ces montagnes se voudraient en réalité de toutes petites mottes de terre. Mais il y a parfois un piège derrière cette méthode apparemment cohérente : vous n’êtes pas ces autres personnes, l’expression « en réalité » de la phrase précédente est biaisée, inapplicable. Bien sûr, je ne souhaite pas ici nier totalement les aspects positifs de ce type de relativisation, mais comme je me plais à le faire habituellement, je compte toutefois montrer que dans certains cas (fréquents), cette opération possède malgré tout son « autre côté de la médaille ». Et comment la relativisation pourrait-elle s’avérer négative pour quelqu’un, me demanderez-vous? Lorsqu’elle a pour but de nier injustement ce que nous pourrions appeler notre « droit aux malheurs ».


La notion de « droit aux malheurs » peut sembler absurde, voire fataliste ou pessimiste. Or il n’en est rien : il me semble juste d’affirmer que tout être humain voulant se développer et s’épanouir en société fera éventuellement face à des difficultés et à des épreuves, qu’elles soient émotives, professionnelles, familiales, physiques, morales, matérielles, scolaires, etc. Considérer certains de ces malheurs comme étant bels et biens des malheurs, voilà ce que j’entends par « droit aux malheurs », voilà ce que la relativisation nie parfois injustement lorsque employée d’une certaine manière. Vous avez perdu votre appareil photo professionnel que vous veniez tout juste de vous acheter grâce à vos économies? Vous vous en plaignez? Que répondre à quelqu’un qui dit que vous n’avez pas à vous plaindre en vous comparant aux petites Chinoises qui travaillent 16 heures par jour que vous avez vu dans un documentaire la veille? Que répondre si on vous disait qu’elles devraient travailler toute une vie pour obtenir ce type d’appareil? « Ouais, c’est vrai au fond… » …Toujours est-il que vous trouverez l’événement très déplaisant.

L’idée est de faire réaliser qu’il n’est pas ridicule d’interpréter certains évènements comme étant des malheurs, d’en souffrir et de s’en plaindre même si d’autres individus vivent des évènements pouvant apparaître biens pires. Nous n’avons pas choisis, par exemple, d’être nés dans un pays qui vit dans l’abondance matérielle et qui jouit d’une liberté d’expression particulière (du moins si nous le comparons à d’autres) : il serait malsain de trop culpabiliser pour cette raison. Bien sûr, l’idée n’est pas de se déresponsabiliser de tout malheur extérieur et de l’ignorer, il ne faut pas non plus tomber dans l’autre extrême. Toutefois, c’est en grandissant dans ce pays que nous avons construit nos notions de bonheur et de malheur, de bien et de mal, de juste et d’injuste, et c’est donc relativement à ces constructions que nous les « ressentons », que nous jugeons qu’ils se réalisent ou non dépendant des situations.

Lorsque la relativisation nie ce que j’ai appelé notre « droit aux malheurs », elle le fait en posant indirectement l’analogie mathématique suivante : Si tel humain X est capable d’endurer régulièrement un malheur Y d’une valeur de 180 « points de souffrance », et bien toi, humain X², tu n’as pas le droit de te plaindre d’un malheur Z d’une valeur d’à peine 50 « points de souffrance ». Ici, on pose que les deux « X » sont des humains et qu’ils sont ainsi, en un certain sens, des « constantes », qu’ils ont une valeur identique. Or, dans ce type d’analogie, il ne saurait y avoir de constante « être humain » : « X » est une variable pouvant représenter une infinité de personnalités, influencées par la culture, l’éducation, la famille, bref construites à partir de passés uniques. Car c’est bien notre « personnalité » qui donne une valeur particulière aux événements, pas notre « humanité » : c’est l’avare qui trouve la perte d’argent atroce et le compétitif qui trouve la défaite insupportable. Or, étant tous une de ces « variables », personne n’est en position de poser l’échelle objective des « points de souffrance ». Même si nous arrivions à mettre de côté les « personnalités excessives », il resterait difficile de décider objectivement ce que vaut une peine d’amour par rapport à une pauvreté financière importante. Et un bras dans le plâtre par rapport à l’échec d’un test de qualification qui aurait permis de réaliser un rêve? Et même si on reste sur le même plan (physique par exemple), un important mal de dent par rapport à une grosse coupure?

En fait, si nous poussons la logique interne de ce type de relativisation jusqu’au bout, nous pouvons en arriver au principe suivant : « Tant qu’une personne est victime de plus de malheurs que toi et qu’elle vit régulièrement avec ces malheurs, tu n’es pas légitimé de te plaindre sur tes propres malheurs ». Or, en suivant ce principe au pied de la lettre, la seule personne légitimée de se plaindre serait… LA personne la plus malheureuse au monde. Or, encore une fois, vue l’impossibilité d’une échelle objective des « points de souffrance », cette personne ne pourrait tout simplement pas être identifiée.

Mais cessons d’être uniquement analytiques et revenons au monde tel que nous le connaissons... Malgré l’impossibilité d’une telle échelle objective, par expérience personnelle, nous nous devons de concéder le point suivant : certaines personnes (incluant nous-même) semblent parfois se plaindre « trop » proportionnellement à la « gravité réelle » des évènements, et ce malgré l’impossibilité purement analytique de définir ce qu’est une « gravité réelle ». Si une personne est de très mauvais humeur, maudit sa malchance et sa vie parce qu’il ne reste plus de fromage dans son réfrigérateur, une petite relativisation peut être de mise. Mais comme je l’ai mentionné, sans fondement de ce qu’est une « gravité réelle », sans une possibilité « d’échelle objective des points de souffrance », comment peut-on alors distinguer les usages légitimes d'une relativisation des usage illégitimes? Car c’est bien ce que je semble tenter d’exprimer ici : que dans certains cas, la relativisation est légitime, mais pas dans tous les cas. L’exemple du fromage est un cas facile, mais ce ne sont pas tous les cas qui sont aussi simples.



Est-il possible de poser un critère permettant de distinguer les relativisations légitimes des relativisations illégitimes? Si oui, ce critère ne pourrait pas dépendre de la « mesure » de la gravité des deux situations comparées : nous avons montré que cela impliquerait une « échelle objective des points de malheur » qui elle est impossible. Je ne prétends pas pouvoir fournir un critère absolu, car il s’agit là principalement d’une question de jugement personnel, de cas par cas, mais à mon avis, pour établir un tel critère, nous devrions nous baser sur l’intention, sur la raison pour laquelle la relativisation est énoncée, sur la manière dont elle est énoncée. Comme mentionné brièvement au début de l’article, la relativisation des malheurs est bénéfique lorsqu’elle a pour effet de nous encourager, lorsqu’elle nous rappelle que « la vie continue », lorsqu’elle nous permet de nous considérer « chanceux » sous un certain angle malgré la malchance passagère. Or, cette même relativisation (en apparence) est parfois employée pour donner l’impression à un sujet qu’il n’a pas le droit de se plaindre de sa situation, que ses plaintes sont illégitimes, voire ridicules : c’est ces cas que, selon moi, nous devrions de limiter et détecter, en vue de défendre... notre « droit aux malheurs ».
L'hypocrisie démocratique
Si vous suivez un peu les actualités, vous savez qu’il y a quelques semaines, le Canada a reçu le « prix fossile » à Copenhague, c’est-à-dire une sorte de prix citron (on le gagne en étant mauvais/désagréable) en matière d’initiatives écologiques. Pourtant, comme j’en avais parlé dans le premier article de ce blogue, il n’est maintenant pas difficile de constater que la majorité des citoyens est rendue écolo, du moins en partie. Ainsi, qui autour de vous s’est sentis « citoyen canadien » lorsque ce prix a été décerné? Pas grand monde sans doute. Étrangement, nous sommes bel et bien citoyens de ce pays et nous vivons dans un régime démocratique : le gouvernement est supposé représenter le peuple, ses idées et ses intérêts.

Bon, vous allez me dire que le Québec constitue un cas particulier dans le Canada, et vous avez raison. Mais cette relation de « non-fierté » que nous entretenons avec notre Premier ministre fédéral ne se produit-elle pas aussi souvent avec notre Premier ministre provincial? Celui-ci n’est-il pas souvent présenté comme un sujet de moquerie et très rarement Justifierprésenté comme un idéal? Ne critiquons-nous pas plus souvent ses décisions que nous les acclamons? Et pourtant, cette fois, c’est bien nous, les Québécois, qui l’avons élu. Même pour ce qui est du Canada, plusieurs Canadiens anglais sont eux aussi en désaccord avec certaines décisions de leur Premier ministre fédéral. Par exemple, le 28 octobre dernier, 37 villes canadiennes ont manifesté simultanément contre l’implication militaire du Canada en Afghanistan. Ces Canadiens se sentaient-ils bien représentés? J’en doute. Et seriez-vous surpris si je vous disais que ces manifestations n’ont absolument rien changé à la décision officielle, et ce même si nous vivons dans un pays démocratique? Évidemment que non, vous ne seriez pas surpris! Nous avons de la difficulté à imaginer qu’après une manifestation publique, aussi massive soit-elle, le dirigeant d’un pays démocratique dise « Bon bon, O.K., comme vous voulez! Suffisait de le dire! S’il y a quoi que ce soit d’autre, faîtes-moi le savoir et c’est tiguidou! ».

Nous voyons en la démocratie un système politique idéal que nous sommes prêts à défendre, voire même à imposer à d’autres nations. Nous pensons qu’un peuple ne peut se réaliser qu’à travers ce système politique précis. C’est possiblement dans cet esprit que notre Premier ministre fédéral a annoncé au début du mois de décembre 2009 qu’il allait investir autour de 70M$ dans un programme de promotion de la démocratie, et nous savons que les États-Unis possèdent eux aussi un « programme » spécial qui va dans cette direction… Mais la démocratie nous donne-t-elle autant de liberté et de choix que sa prétention nous le murmure gentiment à l’oreille? Pour reprendre son étymologie bien connue, dans quelle mesure le dêmos a-t-il droit au krátos?

Si on s’entend pour dire que la liberté d’expression est une chose distincte de la démocratie et qu’elle pourrait persister dans un autre système politique, concrètement, quel est le « pouvoir » du citoyen? Il consiste à… faire un « X » à chaque quatre ans. Voilà. Ensuite, tout le monde peut avoir le sentiment que les engrenages fonctionnent d’eux-mêmes et que leur pouvoir individuel a disparu. Le leader en question peut ou non respecter les promesses qu’il a fait, il peut ou non modifier le plan qu’il a présenté, tout comme il peut faire entrer de nouveaux éléments dans son plan. En un sens, c’est une chose nécessaire car l’on doit s’adapter aux circonstances. Mais une véritable démocratie n’impliquerait-elle pas la consultation du peuple pour les décisions importantes? Et si, en plus de voter pour un député, en plus de faire notre fameux « X », nous pouvions aussi voter pour des idées? Imaginez une section « pour ou contre » sur le bulletin de vote (ou avec une échelle d’appréciation de 1 à 5) qui nous permettrait de donner notre avis sur une vingtaine de projets ou de lois proposées par… tous les partis politiques! Avec un tel système, nous nous rapprocherions d’une démocratie dans laquelle l’expression « pouvoir au peuple » a du sens! Avec Internet, des référendums pourraient avoir lieu bien plus fréquemment qu'à chaque 4 ans. L’idée n’est pas tant utopique : cela se rapproche de ce qui se passe en Suisse où le peuple a le droit permanent de créer un référendum sur une décision prise par le parti au pouvoir et peut même officiellement en suggérer de nouvelles.

Car lorsqu’on y pense, concrètement, sommes-nous en accord ou en désaccord avec les personnes elles-mêmes, quoi qu’elles décident, ou plutôt avec leurs idées? Ne peut-on pas avoir plusieurs opinions en commun avec une personne, mais différer d’avis sur un point? Pour faire une analogie, diriez-vous à quelqu’un qui vous est proche : « puisque tu m’as convaincu cette semaine, pendant 4 ans, je suis d’accord avec toi peu importe ce que tu dis et ce que tu fais! »? Que cet exemple soit appliqué à un couple, à une famille ou à des ami(e)s, quelque chose me dit que cette formule ne serait pas gagnante… Et pourtant, dans la démocratie, c’est un peu ce type d’entente que nous avons avec notre gouvernement, ce qui crée des sources incroyables d’insatisfaction.

En plus du problème décrit plus haut, il y a une raison simplement mathématique pour expliquer que peu de personnes s’associent totalement à nos dirigeants. En moyenne, le taux de participation est d’environ 70% aux élections provinciales, 45% aux municipales et de 60% aux fédérales. Pour faire notre calcul, prenons le cas des élections fédérales puisqu’il s’agit ni du taux le plus haut, ni du plus bas. Pour qu’un parti soit élu majoritaire il doit avoir plus de 50% des voix… ce qui arrive très rarement. Par exemple, aux dernières élections fédérales en 2008, le Parti Conservateur a reçu environ 38% des voix. Cela signifie que 38% de 60% de la population (donc environ 23% de la population) a voté pour notre Premier ministre actuel (ou plutôt pour un député qui lui est associé, ce qui complique la chose). Cela n’inclue évidement pas les personnes en dessous de 18 ans : si on souhaitait être exacte, on enlèverait donc environ 20% , ce qui nous donnerait 18,4% de la population canadienne. Mais bon, pour être franc, je n’aime pas tant les statistiques : contrairement à leur prétention, elles expriment plus souvent des points de vue que des faits. Mais avouons que lorsqu’il est question d’élections, il est difficile de ne pas y recourir! De toute façon, parmi ces 18% de Canadiens, quelle proportion connaît réellement les intentions officielles ou réelles du parti?

Après tout, les campagnes électorales ressemblent surtout à des campagnes de publicité dans lesquelles on tente de vendre un produit en jouant sur le subconscient et la manipulation. En effet, durant cette période, à chaque coin de rue (de manière étrangement abusive, vous constaterez vous-mêmes!), on retrouve des affiches avec le visage du député de l’arrondissement ou du chef du parti avec un court slogan, ou simplement « Votez X » ou « Votez Y ». Puis, lorsque les partis ont l’occasion de s’exprimer davantage, ils choisissent souvent de... rabaisser leurs adversaires. Il est rare qu’un parti s’exprime publiquement en disant « Vous savez, l’idée X de cet autre parti, nous n’avions pas vraiment envisagé le problème de cette manière et ce n’est donc pas vraiment dans notre plan… mais c’est une perspective et une solution très brillante! Chapeau! ». La compétition a ses bons côtés, mais avec cette forme de campagne, l’idée n’est pas de juger de la qualité des plans « adverses » : c’est d’argumenter dans l’autre direction pour convaincre qu’ils sont mauvais. Au fond, il s’agit tous des citoyens du même pays ou de la même province, qui font face aux même problèmes!

Je vais être provocateur, mais considérant tous les points énumérés plus haut, ne pourrions-nous pas considérer que notre démocratie, en dessous de sa parure d’idées nobles, n’est pas si loin… d’une dictature? …Dans laquelle on inclurait toutefois la liberté d’expression, nuance importante si l’on souhaite distinguer notre « dictature démocratique » des nombreuses dictatures qu’a connu l’histoire! Mais malgré le caractère péjoratif du mot « dictature », la vraie question est de savoir si cette « dictature »... est nécessairement un mauvais système politique. Ouf! N’est-ce pas là une idée encore plus provocatrice? Pourtant, la question se pose : la masse est-elle réellement la mieux placée pour prendre des décisions politiques? Nous avons aujourd’hui tellement foi en la démocratie et en ses principes que nous n’osons plus poser cette question. La démocratie s’est présentée comme salvatrice face aux injustices jadis commises par la monarchie. Pour cette raison, l’esprit populaire a associé ces systèmes politiques à une opposition « bien » V.S. « mal » dans laquelle la démocratie incarne le bien. Toutefois, s’il y a bien une caractéristique de la sagesse, c’est de réaliser que les oppositions entre le bien et le mal sont rarement aussi simples qu’elles nous apparaissent et qu’elles peuvent se modifier avec le temps…

Lorsqu’il est question de prendre des décisions, un petit nombre de personnes qui entretiennent un point de vue d’ensemble sur la société ne peut-il pas être plus efficace qu’une masse innombrable de personnes qui ont chacun leur petit point de vue individuel? Si chacun cherche son bonheur individuel mais que certains de ces bonheurs ne sont pas conciliables, qui est le mieux placé pour prendre la « meilleure décision »? Une des deux personnes en conflit ou une personne extérieure qui les observe? Pour prendre un exemple économique fictif, imaginons que nous avons un budget gouvernemental de 100M$ et que la santé demande 40M$, l’éducation 40M$, les transports 20M$, les programmes écologiques 10M$, l’industrie du bois 20M$, l’entretient des routes 10M$, les relations internationales 10M$, etc. Qui est le mieux placé pour prendre la décision concernant la distribution budgétaire? Les médecins? Les professeurs et les étudiants? Les chauffeurs d’autobus? Les groupes écologiques? Les commerçant de bois? Les travailleurs de la route? Les diplomates? etc. Est-ce si intolérable et absurde de répondre « aucune de ces réponses »?

Non, pas vraiment, mais une fois que la démocratie est implantée, il est difficile de voir comment elle pourrait céder à un autre système politique qui n’impliquerait pas le droit de vote : cela exigerait que la majorité des citoyens vote… pour abolir leur droit de vote! Ainsi, si les dirigeants d’une société démocratique constatent que le peuple n’est pas toujours le mieux placé pour décider, il se doit de déguiser les aspects tyranniques nécessaires à un bon gouvernement en aspects démocratiques par tous les moyens possibles… L’idée ici n’est pas de paranoyer ou de crier à une sorte de complot, mais simplement de remettre en question l’idéal démocratique. Qui sait, peut-être que si nous prenions conscience et assumions l’hypocrisie de ce système politique, que si nous comprenions la différence entre ce qu’il prétend être dans l’esprit populaire et ce qu’il est réellement, peut-être aurions-nous plus de chances de l’améliorer! Et peut-être serions-nous moins naïvement surpris à chaque fois qu’un parti politique ne respecte pas ses promesses ou prend une décision qui ne concorde pas avec nos intérêts...

De toute façon, avec moi, c’est pas compliqué : aux prochaines élections, je vote pour le premier parti qui prend le budget alloué à la conception, à la fabrication et à l’installation des pancartes électorales, puis qui fait une loterie avec pour ses électeurs. Pas d’hypocrisie : au moins, ce scandale-là, il serait public en partant!