La généralisation… quel parasite de la pensée éclairée, dira-t-on! Combien de fois avez-vous fait remarqué à quelqu’un qu’il généralisait et qu'il ne devait pas juger les autres de cette manière? Cette opération de l’esprit tant critiquée s'appuie souvent sur ce qu’on appelle des « stéréotypes ». « Stéréotype »… le mot à lui seul semble posséder une connotation négative. En fait, nous pourrions dire que le stéréotype d’un stéréotype, c’est d’être néfaste pour le jugement! Un point de vue plutôt partagé, et nous savons tous pourquoi. Essayons en un autre, question de faire changement!
Premièrement, voyons ce dont il est question lorsqu’on parle de stéréotype. L’opération consiste à prendre une caractéristique que possède une classe ou une catégorie de personnes, généralement dans l’esprit populaire (ex : les bourgeois sont snobs), puis appliquer cette association abstraite d’idées à un cas concret (ex : cet homme étant bourgeois, il doit être snob). Ce qui m’amuse, c’est de constater à quel point le langage (et donc l’acte de penser lui-même) implique inévitablement des associations entre les différentes classes et les différentes catégories abstraites.
Mais bien sûr, ce ne sont pas toutes ces associations qui peuvent être appelées stéréotypes. Le mot « ours » peut vous faire penser au mot « poilu », mais nous sommes d'accord pour dire que « l’ours poilu » ne constitue pas un stéréotype pour autant. Dans le même ordre d’idées, le mot « tigre » peut vous faire penser au mot « dangereux », mais un « tigre dangereux » ne constitue pas un stéréotype pour… attendez… Et qu’arrive-t-il si j’apprends que ce ne sont pas tous les types de tigre qui sont dangereux dans toutes les circonstances? Penser que les tigres sont dangereux deviendra-t-il alors un stéréotype? En d’autres mots, ma « connaissance » d’une ou de plusieurs exceptions peut-elle transformer ce que je considérais avant comme une caractéristique... en stéréotype ? Supposons que tous les arabes québécois que j’ai croisé jusqu’à ce jour possèdent un accent et que, pour imiter un arabe, j’imite cet accent. Viens-je d’imiter les arabes en me basant sur une de leur caractéristique selon mon point de vue alors que je viendrais de les stéréotyper selon le point de vue d’une autre personne qui, elle, aurait déjà rencontré des arabes québécois sans accent? Et si tous les arabes québécois possédaient bel et bien un accent, cet accent pourrait-il être considéré comme un stéréotype... alors qu'il serait aussi une caractéristique?
Quoi qu’il en soit, si vous voyez un tigre, je vous suggère tout de même de ne pas trop vous en approcher... Et si vous voyez un ours sans poil, bah, ne s'agit-il pas simplement d’une exception à une règle très générale, sans que cela ait le moindre rapport avec les stéréotypes? Mais pourtant, les stéréotypes n’existent-ils pas justement dans un jeu d’opposition entre des règles générales et des exceptions? Ou... non, pas toujours en fait... Bon, c'en est assez de ce petit jeu! Nous pourrions y jouer longtemps avant d’arriver à une définition irréfutable et non-critiquable d’un stéréotype. Pour ce qui nous importe ici, prenons simplement conscience que définir un stéréotype n’est pas aussi évident que notre intuition nous l’indique.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’usage des stéréotypes est critiqué, la première étant évidemment lorsque le stéréotype en question est perçu négativement (ex : les militaires sont des bagarreurs machos). Toutefois, lorsqu’il est question de généralisation, le stéréotype n’a souvent même pas besoin d’être négatif pour que son usage soit critiqué! Pourquoi? La raison qui nous vient à l'esprit, c'est que la généralisation est perçue comme un jugement dangereusement prétentieux : le juge ne connaît pas assez la personne jugée pour se prononcer dessus. « Tu ne le connais pas, tu ne le sais pas au fond! ». Mais il y a aussi que classer un individu dans une « catégorie » puis tenter de le définir personnellement à partir de cette catégorie donne l’impression qu'on enlève à cet individu une partie de son caractère unique. Je dirais même une partie de son... « libre arbitre ». Un peu trop exagérée et poussée comme hypothèse, vous trouvez?
Laissez-moi vous expliquer : disons qu’à un souper de famille, alors que votre petit frère parle d’un ami noir qu’il s’est fait en entrant à l’école secondaire, votre oncle se fait un plaisir d’ajouter un commentaire ressemblant à : « Un de ceux qui jouent au basketball, qui portent des vêtements trop longs et qui écoutent du rap j’imagine!? ». Vous n’aimez pas l’usage du stéréotype en pensant « Franchement, les jeunes noirs ne sont pas tous comme cela! », mais avant que vous n’ayez eu le temps d’intervenir, votre petit frère, naïf, répond « Comment t’as fait pour deviner son sport préféré, sa musique préférée et la manière dont il s’habille!? Tu l’as déjà vu? ». Si certaines personnes trouvent frustrant d’être témoins d’un jugement qui se base sur des stéréotypes, quelque chose me dit qu’elles le seraient encore plus si elles prenaient le temps à chaque fois de vérifier dans quelle mesure ce jugement est juste…
Vous voyez une vieille madame avec les cheveux teints et un maquillage excessif? Un stéréotype de « matante »? Parions qu’elle sente beaucoup le parfum aussi! Réaction réflexe des pieux guerriers de la droiture d’esprit : « Mais voyons, ce ne sont pas toutes les vielles femmes avec beaucoup de maquillage qui sentent le parfum! ». Merci de pointer l’évidence, guerrier, car c'est en effet plutôt évident qu’elles ne sont pas toutes comme ça... Mais puisque le principe du stéréotype est généralement de dégager une caractéristique commune à la majorité d’un groupe, dans plusieurs cas, il y a simplement de bonnes chances que le stéréotype s’applique. Mais non, en effet, ce n'est pas certain. Toutefois, personne n’attend d’être certain de ses propos à 100% dans toutes les situations avant de les affirmer : nous généralisons tous. Et même si de pieux guerriers de la droiture d’esprit prenaient la peine d'« être certain à 100% » avant d’affirmer tous leurs propos, cela ne signifierait pas pour autant qu’ils auraient raison sur tout : on ne s’en sort pas!
Comme il a été mentionné plus tôt, si nous pouvons sentir un malaise lorsque quelqu’un affirme qu’une vieille trop maquillée doit probablement sentir le parfum ou qu’un jeune noir doit probablement écouter du rap, c’est parce que derrière le concept même de stéréotype se cache celui de déterminisme… et il s’adonne que ce n’est pas tout le monde qui vit en harmonie avec l’idée qu’ils sont « forgés » par leur époque, leur culture, leur classe sociale et leurs relations interpersonnelles. Et oui, surprise : nous sommes tous stéréotypés relativement à différents aspects de notre personne, autant lorsqu'il est question de notre apparence que lorsqu'il est question de notre psychologie! Et la surprise qui y est directement attachée : nous pouvons tous être analysés grâce à ces stéréotypes! Tenez, allez voyager dans un petit village en orient : vous incarnerez sans doute le « stéréotype » de l’occidental qui essaie de s’adapter, et les habitants du village pourront probablement prédire plusieurs de vos actions et réactions… au même titre que si vous étiez n’importe quel autre occidental venant d'un pays fortuné. D’une certaine manière, vous perdrez alors une partie de votre individualité! Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin qu’en orient. Supposons que vous êtes un ou une habituée des bars de type guitare, chansons à répondre et ambiance plus « familiale » : lorsque vous entrerez dans un bar de type « boum boum », piste de danse et ambiance plus « sexuelle », vous trouverez les personnes qui s’y trouvent très stéréotypées! Mais dans ce cas, il ne faudrait pas que vous soyez naïfs et pensiez de manière unilatérale! Ces mêmes habitués « stéréotypés » du second type de bar, lorsqu’ils entreront dans « votre » bar de chansonnier, trouveront aussi les habitués qui s’y trouvent très stéréotypés! Dès que vous classez en « type », vous pensez en « stéréotype » : et, ne vous en déplaise, même si vous n’en avez même pas conscience, vous classez en type.
Une mauvaise chose, les stéréotypes? Parfois oui bien sûr, dépendant du stéréotype et de son application. Mais rappelons-nous que si l’acte de généraliser est si souvent condamné alors qu’il est, à mon avis, très naturel et peut-être même implicite à notre langage, c’est souvent parce que l’on considère plus ou moins consciemment qu'être catégorisable est une mauvaise chose. Mais incarner un stéréotype, s'il n'est pas péjoratif, est tout à fait acceptable et devient un « mal » uniquement lorsque l’on se conçoit comme absolument unique et indépendant de toute catégorisation, de tout contexte culturel et temporel… alors que, il me semble, c'est totalement faux! Mais ce réflexe que nous avons de juger négativement les stéréotypes (et donc la catégorisation) n'est pas surprenant puisque notre mentalité moderne nous incite à nous concevoir comme totalement libres : je choisis mes vêtements, je choisis mes activités, je choisis mes croyances, je choisis ma carrière, etc. Remarquez, ce point de vue n’est ni erroné, ni négatif pour autant! Mais il peut nous inciter à percevoir la catégorisation d’autrui, c’est-à-dire les stéréotypes, comme une limitation à la liberté des autres et, indirectement, à la nôtre aussi.
Bref, n'ayons pas honte d’incarner un stéréotype s’il ne nous apparaît pas péjoratif... et ne nous emportons pas par "réflexe" si on en applique sur les autres! Alors qu'ils sont souvent condamnés par le seul fait qu'ils sont des stéréotypes, plusieurs stéréotypes que l'on applique (et surtout ceux que l'on incarne) gagneraient à être considérés. Peut-être (surement?) possèdent-ils un fond de vérité et, qui sait, peut-être pourrions-nous faire une découverte intéressante en les acceptant? Si ce point de vue que je viens d'exprimer sur les stéréotypes vous apparaît un peu l’inverse de ce que l’on entend d’habitude, et bien pardonnez-moi : je dois admettre que j’incarne un peu ce stéréotype…