Une société superficielle? Avec plaisir!

Une société superficielle

Combien de fois ai-je entendu dire que nous vivions dans une société « superficielle »?

La raison pour laquelle cette critique est si populaire, c’est qu’elle peut être inspirée par une foule de phénomènes sociaux. Ce peut être le contenu de certaines publicités, le concept de certaines émissions de télévision ou encore le discours de certains politiciens.

Mais qu’entend-t-on exactement par « superficiel »? Même si nous employons ce terme régulièrement, nous devons reconnaître qu’il s’agit d’un concept à la fois très complexe et très abstrait. Après tout, il peut être appliqué non seulement à une société, mais aussi à une personne, à une idée ou à un message.

Dans tous les cas, une critique qui emploie le concept de superficialité est motivée par un désir de vérité, d’authenticité et de pertinence. Ainsi, lorsque nous disons d’une société qu’elle est « superficielle », le plus souvent, nous lui reprochons la quantité abusive d’activités de communication qui s’articulent autour de la dynamique de l’image. En d’autres mots, nous affirmons que nous en avons assez des organisations politiques et commerciales qui se présentent à nous par le biais d'une image créée artificiellement. En tant que récepteur, ce que nous voulons percevoir, c’est l’organisation « telle qu’elle est », c’est-à-dire sans artifices et sans mensonges.

Les origines nébuleuses de la superficialité




Puisque la critique de la superficialité s’adresse généralement à la société en tant que résultat de l’ère industrielle, du capitalisme et du néolibéralisme, nous pourrions être tentés de croire que la dynamique de l’image est née avec le marketing moderne. Or, il n’en est rien. Créer ou gérer l’image d’un groupe ou d’un individu est une pratique qui existait déjà non seulement au Moyen-âge, mais aussi pendant la Rome et la Grèce antique. Et probablement avant. Quant au combat qui oppose le désir de vérité et d’authenticité à la superficialité de la société, lui non plus ne date pas d’hier. Ce sont des thèmes que nous pouvons facilement retrouver dans les écrits de Platon ou encore dans les écrits sacrés.

La dynamique de l’image pourra-t-elle être dépassée un jour? Ou la société est-elle condamnée à être éternellement superficielle?

Le défi : Créer une image non artificielle

Pour répondre à cette grande question, posons d’abord celle-ci : Comment parvient-on à communiquer des renseignements sur une organisation ou une personne sans créer une « image artificielle »? En disant « la vérité »? D’accord. Mais quelle vérité? Si, par exemple, vous aviez à rédiger un paragraphe pour présenter la station Radio-Canada « telle qu’elle est », qu’écririez-vous? Et si vous aviez à faire le même exercice sur les épiceries IGA? Sur le combattant Georges St-Pierre? Sur le gouvernement fédéral? Sur les Québécois?

La vérité, c’est que vous seriez contraints de choisir parmi différentes vérités et que, par là, vous créeriez inévitablement une image. Les communicateurs modernes, ces professionnels que nous accusons de tous les maux, sont confrontés quotidiennement à ce type de choix. Or, même s’ils voulaient modifier l’image de leurs clients en étant le plus fidèle possible à la « réalité », eux aussi seraient contraints d’effectuer une sélection dans l’infinité d’informations et d’interprétations disponibles.

IGA et Georges St-Pierre : même combat!


Poursuivons le défi. Pour présenter les épiceries IGA, vous n’axeriez sans doute pas sur la vie de leurs concierges, mais plutôt sur leurs produits d’alimentation et sur la personnalité de leurs commis. Pour présenter Georges St-Pierre, vous ne parleriez sans doute pas d’une petite blessure qu’il a eue lors d’un entrainement, mais plutôt de ses impressionnantes victoires.

Or, en effectuant une telle sélection, vous seriez infidèles à des réalités qui pourraient importer à des individus autres que vous, à des individus qui n’ont pas les mêmes priorités et les mêmes objectifs que vous. En d’autres mots, vous créeriez une image que vos détracteurs pourront éventuellement qualifier d’« artificielle ».

Par exemple, la personne dont le souci sera de démontrer la mauvaise condition des concierges chez IGA aura tendance à qualifier votre belle image d’artificielle, tout comme la personne qui voudra démontrer que la compétition dans les sports de combat est souvent dangereuse pour la santé. Pourtant, lorsque vous aviez effectué votre choix pour parler d’IGA et de Georges St-Pierre, vous n’étiez pas de mauvaise foi. Ou, du moins, pas nécessairement.

Il est donc non seulement nécessaire de créer une image lorsque l’on souhaite partager de l’information sur une organisation, mais il est aussi impossible de garantir que cette image ne pourra pas être qualifiée d’« artificielle » par quelqu’un d’autre.

Cela ne signifie pas que toutes les critiques de la société qui s’appuient sur le concept de superficialité sont insignifiantes. Cela signifie seulement que lorsque nous avons l’impression qu’une organisation moderne nie son authenticité et qu’elle nous « ment », en fait, souvent, elle effectue une sélection tout à fait justifiable. Cela signifie aussi que les communications modernes ne sont pas aussi décadentes que plusieurs personnes dîtes « engagées » le martèlent.

« La superficialité est mauvaise » : un préjugé moral superficiel?

En fait, il serait peut-être temps de remettre en question la connotation morale qui accompagne généralement l’opposition entre la superficialité et l’authenticité, entre les apparences et la réalité. Alors que la superficialité et les apparences sont souvent jugées mauvaises d’emblée, l’authenticité et la réalité, elles, sont plutôt sont jugées bonnes. Cette association est tellement ancrée en nous qu’elle est devenue presque instinctive. C’est pour cette raison que le terme « superficiel » a généralement la fonction d’une insulte alors qu’en réalité, être superficiel n’est pas toujours mauvais en soi.

Prenons le cas classique d’une adolescente intellectuelle et introvertie qui ne se gêne pas pour qualifier un groupe de jeunes filles branchées et à la mode de « superficielles ». Advenant que cette adolescente n’ait jamais adressé la parole aux jeunes filles, son jugement sera ironiquement des plus superficiels. Après tout, il s’appuiera uniquement sur les apparences. En théorie, la seule chose que l'adolescente affirme avec son jugement, c’est que les jeunes filles branchées accordent beaucoup d’importance à leur apparence, ce qui n’est aucunement condamnable en soi, bien au contraire. Mais ici, le terme « superficiel » sert surtout d’insulte. Il témoigne essentiellement de l’aversion que l’adolescente a instinctivement (superficiellement?) envers les jeunes filles, sans toutefois connaître leurs véritables personnalités.

Il en va de même lorsque, par exemple, un jeune adulte avec des rastas, un bandeau et des vêtements amples qualifie de « superficiel » un homme aux cheveux courts qui s’habille fréquemment en veston-cravate. En réalité, les deux hommes suivent un code vestimentaire : le premier ne fait qu’exprimer son aversion envers le second, alors qu’il est théoriquement aussi « superficiel » que lui.

Une critique pour les superficiellement profonds

Dans le même ordre d’idées, la personne qui reproche à la société d’être « superficielle » ne fait souvent qu’exprimer son aversion envers celle-ci, ou plutôt envers une incarnation particulière de celle-ci. Or, même si émettre cette critique peut donner l’impression d’être intelligent et profond, une telle critique n’est pas nécessairement… intelligente et profonde. En fait, souvent, elle cible des phénomènes inhérents aux communications, c’est-à-dire au langage et à la perception.

Pour reprendre l’expression de Nietzsche, mieux vaut être profondément superficiel que superficiellement profond!
Réflexion sur le mouvement des indignés : changer notre perspective sur les inégalités
Le cas des indignés

Voilà, nous y sommes : il y a trois jours, les indignés de Québec sont devenus les expulsés de Québec.

Le mouvement s’éteindra-t-il pour autant? Parions que non. Après tout, les raisons qui motivent les indignés, elles, n’ont certainement pas été expulsées avec eux. Ceux qui souhaitent continuer le combat devront se creuser les méninges et trouver une manière plus créative s’ils veulent accomplir leurs objectifs, ou du moins un autre lieu. Mais d’ailleurs… quel est ce combat, quels sont ces objectifs et comment peut-on les atteindre? Le manque de clarté et d’uniformité quant aux revendications et aux moyens d’action de ce mouvement a beaucoup nui à la popularité des indignés. En effet, si plusieurs citoyens sont en accord avec l’idée générale pour laquelle ces personnes s’indignent, d’autres ont plutôt tendance à les percevoir comme d’éternels insatisfaits et à porter leur attention sur leur inaction. Enfin, si on peut se permettre d'avancer que leur mouvement, leur occupation, leur omniprésence dans les médias ainsi que dans l’opinion publique résultent de l’inaction… Reste qu'il est facile de comprendre en quoi le mouvement d'occupation est souvent perçu d’avantage comme un lieu de plainte que comme un véritable projet.

La position qui prône l’acceptation passive de la réalité politique et économique actuelle et qui condamne l’insatisfaction constante des citoyens a quelque chose de charmante, elle s'apparente à une « sagesse stoïcienne ». Vous savez, le « Et oui, c’est comme ça que ça fonctionne! Il faut apprendre à vivre avec! ». Mais en fait, cette position a quelque chose… « d’antihistorique ». En effet, accepter la réalité politique et économique en tant qu’état stable qu'on ne peut changer, ce n’est pas vraiment accepter la réalité politique et économique puisque, au fond, cette réalité est inévitablement changeante. Parlez-en aux aînés! Accepter la réalité politique et économique, ce doit aussi être accepter la possibilité que cette réalité puisse changer, même radicalement. Mais on doit donner à ces aspirants stoïciens qu’il peut y avoir quelque chose d’agaçant dans l’insatisfaction constante des citoyens et quelque chose de sage à changer sa perception de la réalité politique et économique pour mieux l’accepter… Ça devient complexe! Quel critère peut-on utiliser pour qualifier une insatisfaction de légitime ou d’illégitime?

L’insatisfaction négative et l’insatisfaction positive

Il n’y a évidemment pas de solution magique (la magie, ici, c'est l'objectivité) pour évaluer la légitimité ou l’illégitimité d’une insatisfaction, mais il y a toutefois un outil qui peut s’avérer intéressant. Mes expériences sociales m’ont permis de distinguer deux types d’adhésion à des causes ou à des mouvements : l’une est le résultat d’un écœurement profond de certains phénomènes, d’une négation de ce qui est en place, et l’autre le résultat d’une affirmation consciente de valeurs et de projets devants lesquels ces mêmes phénomènes représentent un obstacle. La nuance est très subtile, je vous l’accorde.

Prenons l’exemple d’un clivage entre le gouvernement et des manifestants. Dans l’opinion publique, certaines personnes sont pour les manifestant d’abord et avant tout parce qu’ils sont contre cette entité hypocrite, corrompue, avare et insouciante qu’est le gouvernement. À l’inverse, d’autres sont pour le gouvernement simplement parce qu’ils sont contre ces éternels insatisfaits et ces éléments perturbateurs et lâches que sont les manifestants. De ces deux cas « d’adhésion négative » ne résulte habituellement rien de concret, car aucun projet ne demande à être affirmé : il y a seulement une haine (ou une ignorance) qui demande à être exprimée. Il suffit d’écouter ce que l’on nomme « radio poubelle » pour comprendre en quoi consiste ce phénomène... À l’inverse les personnes qui adhèrent à une cause parce qu’elles défendent des valeurs et parce qu’elles ont des projets prennent les devants, agissent, ou alors discutent dans une perspective constructive. Ce type d’individus existe dans le mouvement des indignés, mais chaque mouvement contient les deux types d’adhérent.

Où vais-je avec cette distinction abstraite et, je vous l’accorde, qui n’est pas sans failles théoriques? Habituellement, il existe un indice pour distinguer ces deux types d’adhérent : les négateurs veulent avant tout retirer quelque chose à autrui alors que les « affirmateurs » veulent avant donner quelque chose à autrui. Et c’est là que ça se gâte…

La légitimité des inégalités

Malgré la diversité des critiques adressées aux systèmes politiques et économiques actuels, il y en a une qui sort du lot, une avec laquelle la majorité des citoyens sont en accord : l’accroissement de l’importance des inégalités. Et, évidemment, fidèle à moi-même, c’est à cette critique de la société que je m’attaque, ou plutôt c’est par rapport à elle que je souhaite suggérer un changement de perspective. Après tout, un des seuls buts clairs et avoués des indignés n’est-il pas précisément d’encourager la réflexion et la discussion sur la situation socio-économique actuelle? Et bien voilà…

Il va être difficile de partager cette perspective sans attiser les « opinions automatiques » à ce sujet, mais... l’importance des inégalités n’est pas le véritable problème de la société actuelle. Certes, elle est frappante : il y a quelque chose d’inévitablement choquant à constater qu’un individu possède plusieurs voitures de collection, une énorme baraque, qu’il mange de la nourriture luxueuse à tous les jours alors qu’un autre, à côté, dans la rue, dort sur un banc et demande un minimum pour se nourrir. Le gouffre entre les deux nous fait mal. C’est pour cette raison que le cri de guerre (ou de paix) des indignés (et de la majorité de la population) s’adresse au « 1% », aux riches : c’est parce que leurs possessions sont tellement démesurées qu’elles suffiraient à régler les problèmes de pauvreté. Ce point de vue se limite toutefois à l’économie et à un calcul mathématique. Un calcul qui détient une part de vérité, mais qui en omet une autre. La tâche que je vous propose, c'est d'aller au-delà de l'émerveillement de Pythagore et de Galilée et de comprendre en quoi le monde est plus que mathématique.

La santé et la richesse : justice et injustice

Présentons maintenant une analogie qui va inévitablement heurter votre sens de la logique, mais une logique qui - aussi étrange que cela puisse apparaître - est relative. Je dirais que le sentiment d’injustice que nous vivons lorsque nous songeons à l’inégalité flagrante entre le riche et le pauvre est environ de même nature que le sentiment d’injustice que nous vivons lorsque nous songeons à l’inégalité entre l’homme parfaitement en santé et l’homme gravement handicapé. Jusque-là, puisqu'il ne s'agit que de sentiment, ça va. Dans le second cas, notre soucis doit-il être de retirer la santé à l’homme saint ou de donner le plus de support possible à l’homme handicapé? Bien sûr, il paraîtrait étrange de vouloir retirer la santé à l’homme saint, car le problème de la situation n'est pas sa santé à lui. En plus, qu'a-t-il fait pour mériter ce vol? ...Stop! À présent, l’analogie ne tient plus, n'est-ce pas? Vous n’êtes pas dupe, vous vous dîtes que l’argent est un bien indépendant du corps et transférable, ce qui n’est pas le cas avec la santé! Ça n’a rien à voir : dans le cas du riche et du pauvre, le transfert d’argent de l’un à l’autre peut s’avérer une solution réelle! Vous avez raison… mais pas entièrement.

L’identité socio-économique

Premièrement, le problème concret, celui qui doit nous préoccuper, ce n’est pas que les riches deviennent encore plus riches, mais bien qu’il y a des pauvres (...qui ne deviennent d'ailleurs pas « encore plus pauvre »). Il est vrai que l’écart est frappant. Il est vrai que l’argent est indépendant du corps et qu’il peut être transféré. Mais il est toutefois aussi vrai que chaque individu possède une identité socio-économique qui constitue une unité presque aussi solide qu’un corps. Par exemple, l’inégalité qui existe entre le « 1% » et vous, qui lisez cet article sur Internet à partir d’un ordinateur relativement récent, doit être proportionnellement semblable à l’inégalité qui existe entre vous et le mendiant que vous croisez dans la rue. Or, lorsque vous allez rejoindre un ami pour souper avec lui et que vous croisez ce mendiant, décidez-vous de lui donner votre 20$ puis d’appeler votre ami pour annuler le souper? Bien sûr que non!

Pourtant, ce mendiant a bien plus besoin de cet argent que vous, qui pourriez simplement vous nourrir au riz ou organiser un repas chez vous. Vous ne lui donnez pas cet argent non pas parce que vous êtes sans cœur, mais parce que vous avez une identité socio-économique qui implique un loyer, des frais de télécommunication, des achats, des habitudes, des activités sociales, etc. Peut-être vous dîtes-vous que « de toute façon, il le dépenserait mal »? Belle manière de justifier son « choix », mais vous n'en avez en fait aucune idée. Certes, ce mendiant n’a sans doute pas la même perception de l’argent que vous et ne l’utiliserait pas de la même manière, précisément parce qu’il n’a pas la même identité socio-économique que vous.

Or, ce à quoi votre identité socio-économique vous donne accès - même si cela pourrait facilement être considéré comme un luxe dans plusieurs régions du globe -, vous y tenez. Voilà pourquoi si le gouvernement décidait d’augmenter les taxes de 4%, même si l’objectif était d’augmenter l’accès aux services publiques, vous seriez mécontents. Enfin, ce serait la vraie raison : après, vous pouvez vous faire croire ce que vous voulez… Il en est de même pour les personnes les plus riches, qui n’ont pas la même perception de l’argent et qui n’en ont pas le même usage. Une partie de texas poker dans laquelle le « small blind » dépasse le contenu de votre compte en banque, c'est un peu hallucinant comme phénomène. Voilà ce qu’il faut comprendre : le cri des indignés ne s’adresse pas vraiment aux 1%, mais à un système que personne ne semble avoir délibérément mis en place et auquel tout le monde participe.

Conclusion : l'inégalité n'est pas un mal

L’idée n’est pas d’affirmer que de prendre de l’argent aux plus riches pour en donner aux plus pauvres ne peut pas constituer une solution intéressante au problème de la pauvreté, mais que nous devrions mettre des limites à l’indignation devant les inégalités. L’égalité est une fiction : il y aura toujours des personnes qui auront comme objectif d’avoir encore et encore plus d’argent et de possessions, des manières plus faciles que d’autres d’y parvenir, des conditions plus gagnantes et de plus heureux hasards sur leur chemin. Et, surtout, il y aura toujours des personnes dont l’ambition est autre qu’économique, autre qu'une telle accumulation. Par rapport à ces personnes, que le riche soit simplement riche, super riche ou extra riche, cela importe peu. Bref, non seulement l’égalité est une fiction, mais surtout, l’inégalité n’est pas un mal! Ce qui importe, c’est que tout le monde puisse avoir accès à de bonnes conditions de base: c’est seulement ici que les concepts d’égalité ou d’inégalité sont pertinents.

Morale de l’histoire (car il faut toujours une morale pour rendre la chose intéressante) : Réduisez votre haine, que ce soit envers les indignés ou les riches, et vous participerez ainsi davantage à la solution qu’au problème!
L'utilité d'une formation inutile
« À quoi cela me servira-t-il? » : Qui ne s’est jamais posé cette question dans un contexte scolaire à propos d’une matière précise? Peut-être ne vous l’êtes-vous jamais posée, mais l’aspirant graphiste qui ne passait pas ses cours de physique, lui, se l’ait sans doute déjà posée! Tout comme l’aspirant médecin qui ne passait pas ses cours de géographie et l’aspirant informaticien qui ne passait pas ses cours de français… ou encore n’importe quelle autre personne qui passe tous ses cours mais qui remet malgré tout en question leur contribution à son futur personnel. Dans plusieurs cas, ce type de questionnement se produit et s'exprime surtout à l’adolescence. Mais au fond, ce questionnement disparaît-il nécessairement avec l’âge? Dans un contexte où les études peuvent difficilement être pensées sans le marché du travail, l’idée d’une « formation générale » n’invite-t-elle pas automatiquement la remise en question de sa pertinence? Ceux et celles qui ont choisis (ou qui se sont vus forcés) de se passer d’études peuvent facilement considérer celles-ci inutiles s’ils gagnent suffisamment bien leur vie. Même ceux et celles qui ont terminé des études avancées peuvent facilement jeter un regard rétrospectif et critiquer à quel point la majorité de leurs cours était « inutile » par rapport au métier concret qu’ils exercent. « Utilité » et « inutilité »… Lorsque l’éducation est pensée en ces termes, la pertinence d’une formation générale est discutable et une question étrangement paradoxale surgie : « Quelle est l’utilité des cours inutiles? ». Mais pourquoi tendons-nous à penser l’éducation en ces termes? Est-il possible de penser l’éducation d’une autre manière, non pas uniquement pour la justifier telle qu’elle est, mais potentiellement pour la comprendre et l’améliorer?

L’éducation étant habituellement obligatoire jusqu’à 16 ans, il s’agit d’un phénomène de société qui rejoint, il me semble, l’expérience de la majorité des citoyens. Mais sans nécessairement se limiter au contexte scolaire, en fonction de quel critère effectuons-nous une classification utile/inutile, productif/non-productif de nos actes et de nos choix? C’est bien évidement fonction d’une fin, d’un objectif que nous nous fixons. C’est parce que je dois faire du rangement que regarder la télévision est inutile et c’est parce que je dois faire un travail de recherche qu’aller prendre un verre avec des amis est inutile. Mais regarder la télévision peut devenir utile si mon objectif est de relaxer ou de ne pas manquer une émission dont le sujet m’intéresse particulièrement, tout comme aller prendre un verre avec des amis peut aussi être utile si j’ai envie de socialiser et de me changer les idées. L’action est donc utile ou inutile non pas en elle-même, mais uniquement en fonction d’un objectif que l’on se fixe, parfois plus ou moins consciemment. Mais ces petits objectifs quotidiens et changeants me semblent subordonnés à un but plus élevé, plus général, qui lui est susceptible de nous éclairer sur la manière dont nous percevons l’éducation : « réussir sa vie ». Ouf, un peu vague et abstrait, n’est-ce pas? Pourtant, qui ne veut pas « réussir sa vie »? N’est-ce pas en fonction de cet objectif plus ou moins clairement formulé et plus ou moins conscient que nous effectuons nos grands choix, parfois sans même y penser? Chose certaine, c’est clairement notre conception d’une vie réussie qui nous incite à penser l’éducation en termes d’utilité ou d’inutilité.

Car au fond, quelle est la conception commune et répandue d’une vie réussie? Qui allez-vous me pointer du doigt en disant « Lui, il a vraiment réussi sa vie »? Ici, je suis peut-être prévisible, mais comprenez que l’idée de cet article n’est pas de tomber dans un cynisme profond et superficiel qui combat notre « société moderne de consommation »! Loin de moi ce cliché! Toutefois, pour poursuivre cette réflexion, nous devons admettre en toute honnêteté que si vous souhaitiez répondre à cette question, il y a beaucoup plus de chances que vous me pointeriez du doigt quelqu’un qui a une villa ou une énorme maison que quelqu’un qui a un petit appartement miteux. Quelqu’un qui a le statut de propriétaire, d’entrepreneur ou de patron, que celui de simple employé. Quelqu’un de connu dans le public que quelqu’un d’inconnu. Quelqu’un possédant un travail respecté en société, comme médecin, avocat, politicien (malgré tout ce que l’on dit…), enseignant, architecte, que quelqu’un occupant un emploi considéré plus banal, comme commis, caissier, homme d’entretien, chauffeur de camion ou de taxi, etc. Ce jugement peut paraître arbitraire aux yeux de certains, justifié aux yeux des autres, mais il s’agit bel et bien de notre jugement-réflexe et celui-ci s’effectue assez clairement en fonction d’un critère lié à l’emploi et au salaire. Mais si l’utilité d’une formation est pensée en fonction du but qu’est la réussite d’une vie et que cette réussite est communément conçue en fonction du salaire et à l’emploi, comment justifier l’idée d’une formation générale? Des cours qui ne servent ni à l’emploi ni à « la vie » peuvent-ils être considérés « utiles »? Cette question n’est pas si simple. Pourtant, vous serez d’accord que quelque chose cloche intuitivement dans l’idée de ne fournir aucune formation générale mais uniquement une formation spécialisée et ce, directement dès le primaire par exemple. Nous sommes d’accord pour avancer que les enfants doivent bénéficier d’une formation générale jusqu’à un certain âge. Mais jusqu’à quel âge? Et… pour quelles raisons au juste? En fonction de quelle conception d’une « vie réussie »? Par habitude peut-être. Mais certainement pas en fonction de la conception qui nous incite à pointer du doigt les individus des exemples précédents!

Même si nous nous laissons tous guider plus ou moins consciemment par une conception d’une « vie réussie » basée sur les possessions, l’emploi, le pouvoir et la popularité, nous sommes tous conscients des pièges qu’elle implique lorsque nous y réfléchissons le moindrement. C’est par exemple une évidence qu’un homme puisse réussir sa vie selon la conception commune présentée plus tôt et l’avoir échouée de son propre point de vue, tout comme l’inverse est aussi possible. Mais il n’est même pas nécessaire d’y réfléchir : on peut aussi simplement vivre et sentir ces pièges. Car c’est aussi une évidence que si un homme vous impressionne de l’extérieur par sa richesse et sa popularité puis qu’en le rencontrant, vous découvrez qu’il est malhonnête, lâche et particulièrement jaloux, automatiquement, sa vie ne vous semblera pas aussi réussie, et ce sans la moindre réflexion. Soit dit en passant, je n’avance pas que la richesse et la popularité excluent une personnalité respectable, heureuse et « réussie », loin de là : mais nous devons garder à l’esprit que cela est bel et bien possible.

Quand nous parlons de ce type de « vie réussie », nous concevons notre vie comme une sorte de film ou d’histoire, c’est-à-dire comme un enchainement d’évènements et d’accomplissements observables et distinguables qui méritent d’être jugés plus ou moins bons et impressionnants. « J’ai voyagé sur 5 continents, j’ai créé ma compagnie, elle a fait faillite, je m’en suis créée une autre et elle a réussi, je me suis procuré une belle maison, je suis passé dans les journaux 2 fois, j’ai eu 3 femmes qui m’ont aimé, j’ai publié un livre apprécié des critiques, je me suis même procuré un yacht… Bilan? J’ai réussi ma vie! ». Le premier piège de cette conception est que, puisque certains évènements n’ont de sens que lorsqu’un autre évènement se produit plus tard (l’échec d’une première compagnie – la compréhension des erreurs liées à l’échec – la réussite d’une seconde compagnie), il est difficile de faire un bilan complet de notre vie et donc de la qualifier de réussite ou d’échec… avant qu’elle ne soit terminée. Ce qui, avouons-le, est plus ou moins pratique et logique. Sans vouloir me lancer trop profondément dans une hypothèse de justification historico-culturelle, il est possible que cette manière de concevoir et de penser nos vies (réussite / non-réussite) provienne d’un héritage chrétien profondément ancré dans les racines de notre mentalité. L’athéisme n’élimine pas d’un seul coup toutes les influences historiques : le monde a tout de même été chrétien pendant extrêmement longtemps! Ce pourrait être pour cette raison que nous aurions tendance à penser notre vie en terme de bilan qui peut être jugé, qui « passe » ou qui ne « passe pas », un jugement qui nous faisait traditionnellement mériter le paradis ou l’enfer. Si cette manière de penser nos vies est profondément ancrée en nous, elle s’est clairement vidée de son sens religieux. Mais il n’est pas impossible qu’elle ait été « remplie » par un nouveau sens, cette fois-ci donnée par ce que nous pourrions appeler « l’économisme ». Par l’intermédiaire des médias, cet « économisme » définit stratégiquement la « vie réussie » non plus principalement par l’absence du péché comme le faisait le christianisme, mais par l’acquisition de biens, nous incitant ainsi à faire fonctionner l’économie. Ainsi est possiblement née la conception commune d’une « vie réussie ».


Mais si cette conception d’une « vie réussie » comme un enchaînement d’évènements est piégée et erronée… que nous reste-t-il? Nous pouvons aussi concevoir la « vie réussie » comme la saisie et la recherche permanente des occasions de développer certains traits de caractère, certains sentiments, certaines valeurs et surtout certaines capacités et certains talents. Bref, sans vouloir tomber dans une distinction trop simple, il nous reste la possibilité de penser la « vie réussie » non pas en fonction de ce que l’on acquiert et de ce qu’on accomplit, mais en fonction de ce que l’on devient. Cette idée peut rappeler le concept de « vertu » chez les anciens Grecs, un concept auquel ils accordaient énormément d’importance et qui, justement, pouvait à lui seul servir de critère pour évaluer la « réussite » d’une vie (notons d’ailleurs qu’à cette époque, le monde n’était pas encore chrétien). Se dépasser, se développer, autant physiquement, qu’émotionnellement, qu’intellectuellement, et ainsi toujours attirer non seulement le respect des autres, mais aussi le respect de soi : voilà une « vie réussie ». Le problème est que cette « vertu » n’est pas observable, me direz-vous peut-être? De base, la réussite d’une vie étant avant tout un sentiment humain, elle n’a pas à l’être. Et de plus, d’une certaine manière, c’est faux : lorsque nous entrons en contact avec une autre personne directement et non pas uniquement par l’intermédiaire de sa réputation ou de ses acquisitions, au fond de nous, nous le savons, nous sentons sa réussite ou son échec.

Bien que la conception commune et réflexe d’une « vie réussie » ne justifie aucunement l’idée d’une formation scolaire générale, la seconde conception que je vous ai présentée peut facilement prendre en charge cette justification et elle est, à mon avis, davantage fidèle au vécu humain. La formation générale permet d’initier les individus à des épreuves de diverses natures, à découvrir de nouveaux horizons, à faire des compromis, à développer l‘autonomie, à réaliser leurs talents et leurs défauts, à exploiter des potentiels qui ne l’auraient peut-être jamais été autrement. Elle permet aussi de développer une certaine culture qui alimente la réflexion et par le fait-même la discussion, chose qui peut faire toute la différence entre une personne « intéressante » et « inintéressante », une qualification directement liée à l’estime des autres et à l’estime de soi. L’idée n’est pas d’avancer que seul un contexte scolaire peut développer ces qualités, mais d’avancer qu’il est très susceptible de le faire. Bien sûr, la formation générale peut être exigeante, voire décourageante. Mais il y a un prix à payer pour « réussir sa vie » selon la conception que je vous ai présentée et que je privilégie, et ce prix n’est calculé ni en dollar, ni en euros, ni en livres : il est calculé en efforts, en persévérance et en courage.
Entre ce que vous croyez vouloir et ce que vous voulez
Les opinions que l’on entend couramment sur les sujets d’actualité ou sur les questions d’intérêt public (l’éducation, la politique, l’économie, le divertissement, la morale, la loi, la famille, la santé, etc.) semblent souvent émerger assez intuitivement des individus. Pour expliquer ce phénomène, nous pourrions avancer que, le plus souvent, nos opinions ne sont que le reflet de l’environnement social dans lequel nous avons grandit et ne passent que très rarement par un processus de construction conscient et autonome. Il est vrai que le milieu joue un rôle énorme sur nos opinions, et ce même si nous sommes tous rendus maîtres dans l’art de nous faire croire le contraire (c’est mon opinion à moi! …Une influence? C’est quoi ça?). Mais bon, je vais être honnête dès le départ : lorsqu’il est question de nos opinions, il est impossible de distinguer rigoureusement « ce qui dépend de nous » de « ce qui dépend de notre environnement ». Après tout, les individus ne se distinguent pas radicalement de leurs environnements sociaux : un « cercle social » n’est pas une entité indépendante de ceux et celles qui le composent! Il est donc difficile de distinguer une opinion « automatique » d’une opinion « autonome ».

Malgré cette difficulté, souvent, chaque individu semble trouver que la validité de son opinion est « évidente », et ce par réflexe : c'est dans ces cas que nous pourrions être tentés de parler d’opinions « automatiques ». Pourtant, dans le cas des questions qui portent à controverse (avortement, privatisation du système de santé, réforme scolaire, longueur des peines en prison, accommodements raisonnables, interventions internationales, etc.), soit celles qui sont habituellement débattues, il y a d’importantes disparités dans les opinions et la notion « d’évidence » ne devrait pas vraiment s’appliquer. L’opinion des individus à propos de ces questions est généralement « déjà-là » et les informations ne sont cherchées que par la suite pour approuver ou justifier cette opinion. Évidemment, la recherche s’effectue alors dans cette optique et risque de négliger certains aspects de la question. Il est rare que, lorsqu’on questionne un individu sur un sujet controversé, celui-ci admette « ne pas y avoir pensé ». Selon cette approche, une opinion que l'on pourrait qualifier « d'autonome » naîtrait qu'après une réflexion ou une recherche d’informations et non pas avant. Notez au passage que je m’inclus à « ces individus » : je n’adhère pas à la tendance malheureusement trop présente d’analyser ou de juger « les gens » et de s’en distinguer! Mais où je veux en venir avec toutes ces histoires d’opinions?

Qu’aucune personne (aussi intelligente se considère-t-elle…) n’est à l’abri des « opinions réflexes » ou des « opinions automatiques ». Ce type d’opinion permet un phénomène assez intéressant : nos actions concrètes et nos convictions peuvent se révéler tout à fait contradictoires à certaines de nos opinions (révélant ainsi qu’elles sont « automatiques » et que, si nous prenions la peine d’y réfléchir, nous n’y adhérions probablement pas). Ainsi, telle personne peut avancer qu’on ne doit pas juger la personnalité sur les apparences et sur les stéréotypes mais, étant quelqu’un de prude, elle se moque et juge la personnalité des jeunes filles trop peu habillées par exemple. Dans ce cas, l’opinion selon laquelle « on ne doit pas juger la personnalité sur les apparences » peut être en réalité un principe gravé par l’éducation morale mais aucunement assumé et pratiqué par l’individu.

À partir de ce point, ce que j’avance est quelque peu ambitieux et plusieurs seront sans doute en désaccord. Mais tant mieux : pour être honnête, c'est dans ces cas que je prends le plus plaisir à écrire! Il y a une « opinion automatique » à laquelle tout le monde adhère, à un point tel qu’il n’y a pas de controverse et qu’il est donc presque impossible de la remettre en question. Ce qui est intéressant, c’est que le phénomène décrit plus haut se produit avec cette fameuse opinion : tout le monde la contredit par leurs attitudes, leurs convictions et leurs actions. Quelle est donc cette puissante supercherie? L’idée que nous devrions aider les pays les plus démunis de manière à ce que le confort de leur population se rapproche le plus possible du « nôtre » (principalement les pays Nord-Américains et Européens). L’opinion que « nos » pays riches (je prends en considération que vous, lecteurs, possédez un ordinateur et du temps pour lire cet article, et donc que vous en faites parti…) sont trop riches et que la situation économique mondiale devrait être plus équilibrée. Nous avons tous déjà été confrontés à des statistiques qui dénoncent les injustices mondiales (« Tel pourcentage de la richesse mondiale appartient uniquement aux dix pays les plus riches du monde » « Tel personne possède le P.I.B. de tel pays », etc.). Ce type de statistique est en effet impressionnant et provocateur : avouons que l’idée qu’une seule personne puisse posséder plusieurs milliards de dollars et les garder uniquement pour ses propres intérêts est assez difficilement concevable! Pourtant, en termes purement économiques et mathématiques, proportionnellement, vous-même gardez votre argent pour vos propres intérêts et représentez sans doute cet individu milliardaire par rapport à plusieurs autres milliers de personnes...


L’idée ici n’est pas de dire qu’il n’existe pas d’inégalités ou que ces inégalités ne doivent pas être considérées injustes, ce serait absurde (l’idée de « justice » est, après tout, intimement liée à celle d’égalité). L’idée n’est pas non plus de dire que concrètement, avec vos actions, vous n’avez rien à faire des personnes plus démunies et qu’elles ne vous importent aucunement. Pourquoi? Parce qu'après tout, soyez honnêtes : vous le savez déjà! En effet, le mieux que certaines personnes accomplissent est peut-être de donner un peu d’argent à des œuvres de charité, mais nous savons tous que notre « routine » et nos préoccupations personnelles n’ont en général rien à voir avec l’aide internationale. Certaines personnes plus rares font un voyage d’aide humanitaire, mais il s’agit plus souvent d’une « expérience de voyage » qui se transforme très rarement en vocation. Non, l’idée est plutôt de dire que les principes qui rendent ces inégalités possibles sont à la base du fonctionnement de notre société et ont pénétré notre mentalité (au-delà de l’économie) à un point tel… que très rares sont ceux et celles qui voudraient s’en débarrasser, même au prix des inégalités internationales. Bref, au-delà de votre « opinion automatique », si vous vous attardiez sérieusement au sujet autrement qu'en répondant par pur réflexe, si un choix concret devait réellement être fait (et il l’est sans doute plus souvent que nous le croyons), je paris que vous souhaiteriez volontairement ces inégalités. Ouf, hard n’est-ce pas?

Qu’il soit question de salaire, de services ou de produits de consommations, nous en voulons toujours davantage pour notre usage personnel et ce indépendamment (voir au dépend) des ressources disponibles pour le groupe, soit souvent la société (c’est à cette attitude que l’on fait habituellement référence lorsqu’on parle de la montée de « l’individualisme »). Pensons aux syndicats : aujourd’hui, ces associations sont beaucoup critiquées puisqu’aux yeux de la société, elles semblent davantage exiger des caprices que des nécessités (contrairement à ce dont il était question à l’époque de leur naissance). Le même principe s’applique pour de nombreuses (non pas toutes!) manifestations et grèves : nous voulons retirer le maximum de ce que nous pouvons retirer du point de vue de « notre rôle », « de l’intérieur », indépendamment du bien de la société et de son regard (bien que quelques fois, ces causes prétendent hypocritement servir le bien de la société, camouflant l'égoïsme de la véritable motivation). On trouvera donc peu surprenant qu'il en aille de même pour notre rôle en tant que nation dans les interactions internationales.

« Se contenter du nécessaire » : voilà l’attitude ou la mentalité qu’exigerait l’égalité internationale considérant la disponibilité réelle des ressources économiques et naturelles! Une attitude non seulement que nous n’avons pas, évidement, mais surtout que nous ne voulons pas. Cruel comme auto-examen vous dîtes ? Mais bon, une fois de plus, soyons honnête : définir le « nécessaire » dans cette maxime serait tout un défi de société! Serait-il définit en terme de salaire? De biens? De services? Ou même de libertés? Ou un peu de tout? Un tel défi serait difficile, certes, mais tout de même réalisable (même s’il exigerait une définition inévitablement arbitraire). Or, le fonctionnement économique et la mentalité de nos « sociétés riches » ne nous laisse même pas l’occasion de relever ce défi puisqu’ils poussent la notion même de « nécessaire » à l’absurde, l’augmentant toujours dès qu’elle est atteinte, qu’il s’agisse d’acquisitions ou de confort en général (mentalité commanditée par le monde de la pub!). Voitures, cellulaires et lecteurs DVD : caprices ou nécessités? On ne sait plus… Notre ami Diogène le cynique ne serait pas fier de nous! Je ne dis pas ici que ces principes de vie sont mauvais : à vous d’en juger. Après tout, c’est sans doute grâce à des principes du genre que la technologie ne cesse de se dépasser! En effet, c’est souvent (toujours?) grâce à l'intérêt économique des nouvelles technologies que les créateurs obtiennent des fonds pour la recherche et le développement. Ce que j’avance, c’est que cette mentalité est incompatible avec une égalité internationale, voire simplement une importante réduction des inégalités… et que nous y tenons, même en ayant conscience des résultats.

Autre exemple récurent de l’augmentation sans limites du « nécessaire » : une compagnie privée produit d’importants bénéfices. Que fait-elle ? Elle les réinvestit souvent dans des gadgets pour améliorer son « image » ou le confort de ses clients. Puis, avec le temps, ces gadgets deviendront tranquillement des « standards » et de nouveaux émergeront. Avec un peu de recul, les fameuses portes automatiques aujourd’hui si courantes ne peuvent-elles pas être considérées comme le summum de la lâcheté et du caprice? Mais la compagnie n’a pas besoin d’être « privée » : qui n’aimerait pas que notre système de transport en commun réinvestisse dans des bancs/fauteuils rembourrés plus confortables? En fait, nous pointons du doigt sans arrêt des cas où une somme astronomique d’argent est utilisée pour des projets superficiels alors qu’elle pourrait l’être pour des projets plus nobles d’aide internationale. Pour ne citer qu'un cas, puisque nous parlons de somme « astronomique », le voyage de Guy Laliberté, ça vous dit quelque chose? Mais voilà la question à un million de dollars : pourquoi, malgré ces dénonciations récurrentes, les phénomènes qui causent les inégalités économiques et la pauvreté se perpétuent, voire s’empirent? Bien que plusieurs individus aiment s’imaginer des cornes sur la tête des chefs d’entreprise, principalement des multinationales, en réalité, aucun humain ne peut être insensible à ces documentaires ou à ces émissions chocs qui prennent pour objet les pays les plus démunis. Pourquoi ce phénomène se présente-t-il à nous comme une sorte d’engrenage irréversible que personne ne semble pouvoir contrôler? Voilà la réponse que j’essaie d’esquisser maladroitement ici : parce qu’en réalité, « les autres » qui prennent ces décisions et que tout le monde accuse, ce sont nous, les accusateurs. Au-delà de votre opinion-réflexe, vous ne voulez pas vraiment aider les peuples les plus pauvres, cela se reflète non seulement par vos actions, mais aussi par votre mentalité : vous ne tenez qu’à vous. Aïe! Cette affirmation ne passe pas très bien, n’est-ce pas? Pourtant, prenez la peine de la relire et réalisez à quel point elle est, en réalité, …neutre! C’est encore une fois notre « opinion réflexe » qui tend à l’interpréter comme un reproche. Nous pouvons porter des jugements, certes, mais ici, lorsque je dis « vous ne pensez qu’à vous », je l’avance davantage dans l’esprit d’un constat.


Bref, les ressources naturelles et économiques mondiales, réparties de manière égale, ne pourraient nous permettre de vivre dans les conditions avantageuses où nous vivons présentement. Or, nous ne désirons pas abandonner ce confort, ni surtout les principes de l’individualisme et du libéralisme qui nous permettent d’en espérer toujours davantage et d’être récompensés relativement à notre implication dans le système économique. Nous ne voulons pas abandonner le rêve de nous procurer un jour des caprices comme un écran HD, un Spa, un nouveau système de son, de nouveaux électroménagers, un nouveau cellulaire, un plus grand logement, un nouvel appareil photo, une nouvelle voiture, etc. Si nous avons l’impression que nous ne pouvons rien faire pour corriger les inégalités internationales et que notre monde est régit par un système semblable à une machine qui, une fois démarrée, ne peut plus s’arrêter, c’est que nous nous mentons. Lorsque nous croyons que nous ne pouvons pas changer les structures sociaux-économiques qui causent les inégalités sur le plan international, c’est parce que notre opinion réflexe (ou automatique) refuse d’admettre qu’en réalité, nous ne voulons pas le changer. Pour ceux et celles qui seraient choqués par cette interprétation, ne vous inquiétez pas, je ne vous interdis pas de garder espoir : ce qui est merveilleux avec les opinions, c’est qu’elles peuvent se modifier!